Peut-on résoudre le problème des mutilations génitales féminines?

Les MGF représentent un problème sanitaire, social et économique qu’il faut aborder via des interventions de terrain et des solutions technologiques

Jeune kényane

La prévalence des MGF varie dans le monde, mais elle est surtout présente dans certains pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient. En 2024, l’UNICEF estime que 230 millions de filles et de femmes dans le monde auront subi un ou plusieurs types de MGF – Image extraite de  Last Mile4D’s Journey, dispo sur YouTube, tous droits réservés

Résumé exécutif

À une époque où la technologie détermine une grande partie du comportement humain, pourquoi, au 21e siècle, sommes-nous encore aux prises avec les mutilations génitales féminines/excision (MGF), une pratique millénaire qui consiste à altérer ou léser intentionnellement les organes génitaux féminins pour des raisons non médicales. Des millions de filles se voient ainsi mutiler et priver de leur plein potentiel de vie.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 230 millions de femmes ont subi une MGF dans le monde[1]. Les conséquences de ces mutilations sont nombreuses; elles entraînent des dommages physiques et psychologiques importants, incluant des infections, des hémorragies, des fistules, des complications lors de l’accouchement, la stérilité et la mort. C’est un facteur majeur du mariage des enfants et la principale cause de l’abandon scolaire chez les filles, limitant leurs chances de voir leur situation socio-économique s’améliorer. Les séquelles des MGF se font sentir tout au long de leur vie et entraînent non seulement des affections physiques, mais aussi une pauvreté à la fois chronique et irréversible. Et même si ces pratiques sont illégales dans la plupart des pays, il est difficile de faire respecter la loi, car elles se déroulent le plus souvent dans l’ombre et en secret. C’est un crime silencieux, protégé par les tabous qui empêchent de le dénoncer ou d’en parler, tandis que les filles sont rejetées, humiliées et considérées comme des parias lorsqu’elles font part de leur souffrance.

Si ces pratiques perdurent, c’est avant tout parce que la question n’est pas systématiquement documentée: il existe donc peu de données permettant d’élaborer des stratégies de prévention. Si les taux de MGF par habitant ont diminué dans certaines régions du monde, le nombre absolu de femmes et de filles soumises à ce rituel a augmenté de façon spectaculaire en raison de l’explosion de la croissance démographique.

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Last Mile4D est une organisation à but non lucratif basée à Washington, DC, qui conçoit et met en œuvre des programmes d’éducation et de formation axés sur la santé et la sécurité des femmes et des filles vivant dans les régions les plus reculées et les plus mal desservies du monde en développement, connues sous le nom de communautés du « dernier mile ».


Le problème

Les MGF touchent trois millions de filles par an et constituent une violation des droits humains entraînant des dommages physiques et émotionnels à court et à long terme. Ces pratiques sont aussi la cause d’une inégalité économique systémique, des écarts d’éducation entre les sexes, ainsi que des mariages précoces. Toutes ces dynamiques entraînent des blessures physiques et psychologiques; elles perpétuent un cycle de pauvreté et contribuent à enchaîner les filles à des travaux agricoles et domestiques non rémunérés.

Le manque de données exploitables sur les mutilations génitales féminines exacerbe le problème et rend la prévention illusoire. Le problème apparaît clairement lorsqu’on examine les recherches conduites par les différentes agences des Nations unies (comme l’UNICEF, ONU Femmes, le FNUAP) ainsi que les données de l’OMS sur les pratiques spécifiques à chaque pays.

 

Ces solutions ne sont pas orientées vers l’action et n’engagent pas les communautés dans leur ensemble. Elles manquent d’une stratégie intégrée de collecte de données et échouent à intégrer la formation des communautés et des parties prenantes. Enfin, elles n’associent pas les autorités policières chargées de faire respecter les lois existantes en matière de lutte contre les MGF. Il nous reste peu de temps pour atteindre l’objectif 5.3 des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, qui vise spécifiquement à éradiquer les mutilations génitales féminines d’ici à 2030.

La solution

Alors que la communauté mondiale se dirige vers l’égalité des sexes et la création d’un écosystème féministe, comment donner la priorité à l’éradication des MGF? L’expérience montre qu’il est essentiel de s’attaquer à tous les moteurs économiques, sociaux et culturels d’une pratique qui viole les droits des filles. Ce qui soutient et sous-tend la pratique, c’est un tissu  de traditions, de culture et de religion, qui la rend imperméable aux stratégies fondées sur l’application de la loi et les traités internationaux.

Les traités internationaux et l’adoption de lois interdisant de telles pratiques sont indispensables mais pourtant insuffisants. Sur le terrain, divers programmes communautaires prennent le relais là où les traités et les lois s’arrêtent. De tels programmes ont fait leurs preuves lorsqu’ils sont mesurés en fonction des données disponibles et des résultats obtenus, c’est pourquoi priorité doit être donnée à leur montée en puissance. Le rapport « Effectiveness of Interventions Designed to Prevent or Respond to Female Genital Mutilation » (Efficacité des interventions conçues pour prévenir ou combattre les mutilations génitales féminines, 2021) souligne qu’au cours de la dernière décennie, malgré un effort de recherche intense, au plan mondial, pour identifier les meilleures pratiques de lutte contre les MGF, cela n’a pas débouché sur la mise en place de ces pratiques à grande échelle. C’est en grande partie lié à l’utilisation limitée des preuves et des données existantes en vue d’améliorer la mise en œuvre des programmes et des politiques (Ashford, Naik et Greenbaum, 2020) [2].

Des ressources doivent être consacrées à la montée en puissance des programmes qui utilisent ces bonnes pratiques. L’une des bonnes pratiques à renforcer consiste à aller au-delà de la simple utilisation des données pour regarder en arrière à des fins de diagnostic. Il faut aller plus loin et faire en sorte que les données en temps réel soient exploitables et qu’elles suscitent des interventions adaptées. Il faut utiliser la technologie pour passer du diagnostic aux données exploitables. Il existe des méthodes d’intégration de données permettant aux travailleurs communautaires d’identifier les filles qui sont spécifiquement à risque, celles qui ont reçu une formation sur les manières de se mettre en sécurité, celles enfin qui ont besoin d’être secourues via une intervention immédiate.

Un programme pilote financé par Grands Défis Canada à Kuria, au Kenya, a démontré l’efficacité de l’utilisation de données factuelles à des fins d’intervention. Last Mile4D a lancé son système d’alerte précoce V4D, qui utilise une technologie à énergie solaire et une plateforme en ligne dans une approche tripartite comprenant les éléments suivants: (1) éducation: utilisation de modules éducatifs soigneusement conçus pour former et motiver les communautés ciblées en vue d’éradiquer les MGF, (2) suivi: réalisation d’un suivi périodique et en temps réel du niveau de risque que courent les filles, (3) intervention de crise : mise en place d’une ligne d’assistance téléphonique, de points de contact avec les forces de l’ordre et, si nécessaire, d’un logement sûr pour les filles qui risquent d’être mutilées de façon imminente.

Depuis 2019, Last Mile4D a suivi 5 000 filles, impliqué 11 000 membres de la communauté et hébergé plus de 200 filles grâce à cette approche en trois piliers. Le programme a été piloté dans 10 écoles, avec un staff qui a suivi 1 096 filles de 9 à 17 ans inscrites au programme durant plus de 18 mois.

Parmi les filles, 9 % avaient déjà été excisées et 60 % ont déclaré qu’elles risquaient de l’être. Cette statistique a constitué un choc pour les principales parties prenantes en raison de la nature cachée de ces pratiques, mais le choc a aussi suscité l’action. En utilisant ces données comme moteur, Last Mile4D a sensibilisé les parents, les fonctionnaires et les dirigeants via une série de vidéos et de réunions communautaires. 34% des pères des filles suivies dans le programme ont été sensibilisés aux MGF et 71% des mères. À l’issue du programme, 96% des parents ont signé une déclaration dans laquelle ils s’engagent à ne pas faire exciser leurs filles et 92 % ont accepté de plaider en faveur de l’éradication des mutilations génitales féminines.

Last Mile4D

La vidéo de Last Mile4D montre le travail incroyable des équipes formées par LM4D, qui travaillent directement avec les jeunes filles, les mères, les pères, les chefs de communauté et les représentants du gouvernement pour prévenir les mutilations génitales et protéger les filles vulnérables – Image tirée de Last Mile4D’s Journey

Grâce au monitorage des filles suivies dans le programme et à la protection qui leur est fournie, nous avons constaté que leur niveau de confiance pour parler des MGF était passé de 46% à 99% à l’issue du programme. En outre, le pourcentage des filles sachant quoi faire en cas de risque de mutilation est passé de 53 % à 98%. Pendant toute la durée du projet pilote, aucune fille non déjà excisée n’a subi de MGF; enfin, le programme a encouragé les filles à planter un arbre, en tant que signe de réussite et rite de passage alternatif. En tout, plus de 2 500 arbres ont été plantés, symboles d’autant de filles épargnées par l’horreur de l’excision et des mutilations génitales féminines.

Les premiers résultats de ce programme pilote au Kenya montrent qu’il est possible de le faire monter en puissance à l’avenir. En utilisant des données en temps réel, en impliquant les communautés, en modifiant leurs normes et en y associant l’intervention des forces de l’ordre, Last Mile4D s’attaque aux mutilations génitales féminines sur des fronts multiples.

Un certain nombre d’études soulignent que les parents préféreraient souvent mettre fin aux MGF, mais qu’ils hésitent à soumettre leurs filles à la stigmatisation sociale s’ils ne le font pas. Les taux de réussite du programme Last Mile4D montrent que si l’on s’attaque au facteur de la stigmatisation, il existe une demande pour mettre fin à ces pratiques. Les résultats prometteurs du projet montrent que de tels programmes bénéficiant de l’engagement de la communauté et assortis d’un monitorage en temps réel doivent être étendus et reproduits

Conclusion

Les MGF sont un problème de santé, social et économique, c’est pourquoi les interventions de terrain et les solutions technologiques doivent aborder ces pratiques sous ces trois angles. La technologie peut être utilisée pour collecter en temps réel des données exploitables qui serviront ensuite à mobiliser les ressources de la communauté et des forces de l’ordre pour secourir les  filles concernées. Plus les filles ainsi sauvées seront nombreuses, plus elles seront nombreuses à voir les bénéfices de cette intervention, plus il y aura aussi de gens en faveur d’un changement des normes sociales, culturelles et économiques qui perpétuent ces pratiques. Les programmes comme celui mis en place par Last Mile4D peuvent faire reculer ces pratiques ignobles et briser le cycle qui maintient femmes et les filles dans une situation de dépendance économique et sociale. Si ces projets sont suffisamment développés, nous avons encore de bonnes chances d’atteindre la cible de l’objectif 5 des ODD: éradiquer les MGF


 

[1] https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/female-genital-mutilation

[2] https://www.unicef.org/documents/effectiveness-interventions-designed-prevent-or-respond-female-genital-mutilation