Dépendance ou mandat social ?

Vers une prise en compte de la question du genre dans le milieu des addictions

Femmes et addictions

Ce qui garantit réellement la réalisation d’un processus thérapeutique est de pouvoir problématiser et intervenir dans le lien que la personne établit avec la substance. – Image CC

María Paula Capote Cardarello, Diplômée en Travail Social 

María Paula est diplômée en travail social et travaille depuis mai 2017 au Centre de traitement intégral « Chanaes » pour jeunes et adultes souffrant de double pathologies, dirigé par la fondation Dianova Uruguay.

Si nous comprenons le genre comme une construction sociale où les fonctions, les comportements, les attributs et les activités sont attribués distinctement aux hommes et aux femmes, il est possible d’affirmer que les rôles se manifestent également dans le contexte de la consommation de drogues. Les relations traditionnelles de genre impliquent également l’existence d’inégalités dans leur rapport à la drogue.

Nous savons que la consommation problématique chez les femmes présente des caractéristiques différentes de celles des hommes, tant d’un point de vue culturel et éducatif que d’un point de vue social et/ou juridique. En effet, le genre agit comme un organisateur de la structure sociale et des relations entre les hommes et les femmes : relations de pouvoir, division sexospécifique du travail et processus de socialisation et d’interaction sociale. Cela peut ensuite se refléter dans le lien existant entre les personnes et les substances psychoactives.

Il est possible d’affirmer que le rôle social des femmes a évolué tout au long de l’histoire du monde, passant du rôle de soignante exclusive de sa famille, à un rôle prépondérant dans le monde du travail et dans le domaine social. Cela a -très sûrement- changé d’une manière significative les conditions de vie des femmes, où non seulement la maternité et les tâches ménagères sont de leur ressort, mais où de nouvelles obligations entrent en jeu, entraînant ainsi de nouvelles tensions et pressions sociales. Bien que les mandats sociaux aient été évolué du point de vue conservateur, il subsiste des conséquences négatives en ce qui concerne l’estime de soi des femmes, car les attentes sont plus grandes dans les différents domaines de leur vie où elles doivent intervenir et exigent que tout ce qu’elles font fonctionne parfaitement.

En ce qui concerne la consommation de substances psychoactives, on constate une invisibilité dans les formes de consommation de drogues, associée aux dommages subis par l’image même de la femme, vue dans son rôle de soignante et d’autogestionnaire, et à cela s’ajoute son nouveau rôle de pouvoir et une plus grande activité professionnelle et sociale. Contrairement à la consommation masculine, il existe un espace réservé à la consommation des femmes dans la sphère privée, qui nie ou déguise leur dépendance afin de se conformer aux mandats sociaux prédéfinis. Cela peut être lié à une forme de contrôle social du système patriarcal qui vise à maintenir ce rôle féminin.

Pour ce qui est de la dépendance, il est possible d’affirmer que nous trouvons une conception double et contradictoire en ce qui concerne le genre : d’une part, la dépendance des femmes aux drogues considérée comme inacceptable et condamnée par la société et, d’autre part, la dépendance à la subordination imposée d’un groupe social, ce qui est permis et toléré par la société. Dans ce contexte, la toxicomanie peut être considérée dans certains cas comme une forme de négation, d’affirmation de la femme face aux exigences de la société, consommer une drogue devient une forme de décision et de plaisir personnel et non d’autrui.

Vue sous cet angle, il est possible de comprendre la toxicomanie comme un moyen de faire front aux exigences de subordination ou d’omission. Cette consommation invisible et cachée s’est traduite dans le monde entier par la prise de psycho-pharmaceutiques permettant de remplir les attentes de leur rôle, et, en outre, cette forme de consommation ne mettrait pas en danger leur rôle social préétabli.

Tout ceci se traduit par la faible demande de traitements ou, pire, par la rareté des traitements spécifiques pour les femmes. On peut dire qu’en Uruguay, il existe une différence notoire entre les demandes explicites des hommes et celles des femmes. Cela peut être dû à une consommation cachée ou invisible – ce qui conduit les femmes à ne pas demander d’aide -, et le traitement est également réduit à la sphère privée. Mais il existe également des obstacles à l’accès au réseau d’assistance, soit à cause du même modèle d’attention, qui ne comprend pas la distinction de genre, et/ou à cause du contexte social, culturel et personnel des femmes.

Une autre question importante qui entre en jeu lorsque nous parlons de consommation problématique et de genre, et qui constitue un obstacle à l’accès au réseau de traitement, concerne la stigmatisation dont sont victimes les femmes toxicomanes dans la société et/ou leur propre famille, ce qui entraîne une diminution de la demande et de l’adhésion au traitement de ces femmes. Cette stigmatisation peut engendrer des sentiments de manque d’estime de soi, de honte et de culpabilité, qui renforcent le refus d’accès au traitement et qui, à leur tour, peuvent entraîner une détérioration de l’état de santé de la personne.

Les femmes qui suivent un traitement et recherchent de l’aide demandent un environnement d’intervention dans lequel elles se sentent physiquement et émotionnellement en sécurité, ce qui est fondamental pour l’adhésion au traitement et son succès. Ce point concerne sans aucun doute toute personne qui a émis une demande de traitement, sans distinction de genre, bien que les cas de violence et d’abus physiques et psychologiques sont surtout observés envers les femmes.

Dans le processus d’intervention des femmes qui acceptent de suivre un traitement, le lien thérapeutique et la relation empathique sont considérés comme essentiels. La garantie d’une sécurité émotionnelle, d’une confiance et d’une alliance thérapeutiques, réduit la position de subordination dans laquelle elles sont souvent coincées.

En conclusion, intégrer la prise en compte du genre dans l’intervention signifie prendre en compte tout au long du processus les variables liées au fait d’être une femme dans un contexte et à un moment socio-historique donnés. L’intervention en matière de toxicomanie s’est surtout concentrée sur la substance elle-même et non sur les caractéristiques de la personne qui la consomme, et ce qui garantit réellement la réalisation d’un processus thérapeutique est de pouvoir problématiser et intervenir dans le lien que la personne établit avec la substance. C’est alors que les caractéristiques personnelles, culturelles et sociales entrent en jeu. De même, il est nécessaire de prendre en compte – outre les spécificités sociales et culturelles – les différences entre hommes et femmes, où chaque femme a des besoins, des expériences et des subjectivités différentes par rapport à l’homme, et c’est à ce sujet que nous devons intervenir.


 

Sources

Burín, M. “El malestar de las mujeres. La tranquilidad recetada” Buenos Aires: Paidós. 1990.

Castaños, M., Meneses, C., Palop, M., Rodriguez, M. y Tubert, C. “Intervención en drogodependencias con enfoque de género”.Madrid, España. 2007.

Fernández, S. “Mujeres y Uso de drogas. Elementos para la reflexión desde una perspectiva de Género”. Montevideo, Uruguay. 2001.

Cardeillac, V., Cheroni, A., González, L., Grunbaum, S., Hernández, E., Borda, C., Lamancha, G.,  Olivera, G., Pascale, A.,  Pitetta, A., | Rodríguez, N., Sempol, D. “Desvelando Velos… sobre Género y Drogas” Aspectos Teóricos-Metodológicos y Buenas Prácticas de Abordaje del Uso Problemático de Drogas desde distintas Perspectivas de Género. Junta Nacional de Drogas. Montevideo, Uruguay. 2012.