Les nouvelles formes d’addiction

Les technologies de communication, Internet, les téléphones portables et les jeux vidéo figurent parmi les plus grands enjeux en matière d’addictions et de troubles de santé mentale

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Face au risque de « psychopathologisation » de la vie quotidienne, un expert demande d’approfondir ce qui constitue réellement une addiction

Pedro a échoué dans presque toutes les matières durant son année scolaire. Sa famille n’a pas compris car il passait tout son temps à travailler dans sa chambre, parfois jusqu’au matin. En réalité, Pedro n’a pas ouvert un seul livre. Son année scolaire, il l’a passée  jouer à un jeu vidéo en ligne. Lorsqu’il s’est rendu compte de son problème, il a demandé lui-même de l’aide à sa famille. Mais avant, il s’est renseigné sur le web pour savoir s’il était vraiment dépendant, mais la montagne d’infos disponible ne l’a pas aidé à y voir plus clair.

La revue Infonova consacre son numéro 34 aux modèles de consommation et aux nouvelles formes d’addiction

Pedro s’est ensuite plongé dans les débats sur les usages nocifs des nouvelles technologies. On y trouve de tout, depuis les théories des experts jusqu’aux gros titres des journaux à sensation. À ce jour, il n’existe toujours pas de consensus sur l’usage problématique d’internet, des téléphones portables ou des jeux vidéo. Dans une décision quelque peu controversée, l’OMS vient même d’inclure les troubles liés aux jeux vidéo dans sa onzième révision de la classification mondiale des maladies (CMI-11).

Selon l’OMS, il existe un « trouble du jeu vidéo » lorsque le comportement de jeu « continu ou récurrent » est associé à trois conditions négatives : le manque de contrôle du jeu en termes de début, de fréquence, d’intensité, de durée, de fin et de contexte ; l’augmentation de la priorité donnée au jeu au détriment des activités quotidiennes ou des centres d’intérêt ; et enfin, le fait de maintenir, voire d’aggraver son comportement de jeu malgré une prise de conscience de ses conséquences négatives.

Ce modèle de comportement pourrait entraîner une détérioration significative dans les domaines personnel, social, éducatif ou professionnel. En revanche, les voix les plus critiques estiment que l’assise scientifique de ce trouble n’est pas aussi solide qu’on le laisse entendre. De fait, si l’on en croit l’autre ouvrage de référence, soit la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM V), la question n’est pas du tout tranchée puisqu’il considère que « les troubles de jeu par internet » (regroupant les jeux vidéo et autres jeux en ligne) font partie des troubles requérant des études plus approfondies avant  d’être inclus dans une prochaine édition.

Internet dans la nouvelle stratégie de lutte contre les dépendances

La nouvelle stratégie nationale sur les addictions 2017-2024 du Plan National sur les drogues (PNSD) du gouvernement espagnol a été présentée il y a quelques mois. La stratégie dénote un intérêt croissant pour ce que l’on nomme aussi les addictions comportementales ou sans substance – dont la seule qui soit actuellement reconnue est le jeu compulsif. C’est pourquoi la stratégie considère pour la première fois les usages inappropriés d’internet et des téléphones portables, notamment chez les jeunes :

« Nous vivons dans des sociétés de plus en plus dynamiques et changeantes où il est fondamental d’aborder la question des nouvelles technologies. L’augmentation de l’usage ‘pathologique’ d’internet, des médias en ligne et des réseaux sociaux suscite une préoccupation croissante, de même que le rôle des nouvelles technologies en tant qu’éléments déclencheurs d’autres comportements addictifs, en particulier les jeux de hasard et les paris en ligne chez les adolescents, lesquels bénéficient en outre d’une publicité agressive ».

La revue INFONOVA

La revue de Dianova Espagne sur les addictions, INFONOVA, a déjà consacré deux numéros à ce sujet. Le dernier numéro coincide avec la publication de la nouvelle stratégie du PNSD. La revue propose notamment la contribution d’Elisardo Becoña, professeur de psychologie clinique à l’Université de Compostelle ; son article « Addictions comportementales : séparer le bon grain de l’ivraie » assure notamment qu’aujourd’hui « il n’existe de consensus clinique que sur les addictions liées aux différentes substances et au jeu pathologique, et dans une certaine mesure aux jeux vidéo, mais rien de plus ».

Il met en garde contre le risque de « psychopathologiser  » la vie quotidienne et demande à ce que ce qui constitue vraiment une addiction soit encore approfondi. « Aujourd’hui, on ne peut pas réellement parler d’addiction à internet. Une autre question est le fait que ce soit inoffensif pour la plupart des usagers tout en causant des problèmes à quelques-uns, même si cela ne veut pas forcément dire qu’il s’agit d’une addiction. Si cet usage a des répercussions négatives sur leur vie, ils peuvent faire appel à une aide professionnelle, mais avoir un problème ne signifie pas nécessairement avoir un trouble clinique », affirme-t-il.