L’alcool, un obstacle énorme au développement durable

Les produits et les pratiques de l’industrie de l’alcool sont à l’origine d’un fardeau sans précédent en termes de maladies et de développement dans le monde

Disponibilité de l'alcool

Il a été démontré que les cas d’agressions sexuelles et autres, de violence domestique, de maltraitance des enfants, de violence des jeunes, d’homicides, d’accidents de la route de conduite en état d’ivresse augmentent lorsque la disponibilité de l’alcool augmente. – Photo by Paolo Bendandi on Unsplash

Par Kristina Sperkova, Présidente of MOVENDI International – Depuis l’adoption puis la mise en œuvre de la stratégie mondiale de l’OMS en matière d’alcool, le nombre de décès, de maladies et de dommages sociaux et économiques liés à l’alcool n’a quasiment pas diminué.

À l’échelle mondiale, les niveaux de consommation d’alcool et les dommages qui lui sont imputables restent inacceptables. Qui plus est, les produits et les pratiques de l’industrie de l’alcool ont des effets négatifs sur 14 des 17 objectifs de développement durable.

Mise en œuvre limitée de la stratégie mondiale de l’OMS en matière d’alcool

Au cours des dix dernières années, la mise en œuvre des meilleures pratiques de la politique de l’OMS en matière d’alcool (augmentation des taxes sur les boissons alcoolisées, application de restrictions sur l’exposition à la publicité pour l’alcool et restrictions sur la vente de l’alcool au détail) a été limitée et doit être accélérée.

Prix de l’alcool

95 % des pays déclarants appliquent des taxes sur l’alcool, mais seuls quelques-uns utilisent ces taxes pour réduire la consommation d’alcool et atteindre des objectifs de santé publique. En outre, moins de la moitié d’entre eux utilisent des stratégies comme l’ajustement des taxes sur l’inflation et les niveaux de revenus, la pratique de prix plancher ou encore l’interdiction de la vente à perte ou celle des remises sur les prix de gros.

Disponibilité de l’alcool

  • Moins d’un tiers des pays disposent d’une réglementation sur la densité des points de vente et les jours de vente d’alcool.
  • Certains pays, principalement les pays africains à faibles et moyens revenus, n’ont toujours pas d’âge minimum légal d’achat.

Marketing

  • La réglementation de la commercialisation de l’alcool reste à la traîne par rapport aux innovations technologiques et au commerce électronique, y compris par rapport aux nouveaux systèmes de distribution qui se développent rapidement.
  • La plupart des pays n’ayant pas déclaré de restrictions – tous médias confondus – sont situés dans les régions d’Afrique ou d’Amérique

L’alcool reste l’un des principaux facteurs de risque contribuant à la charge mondiale de morbidité. La contribution de l’alcool à la charge mondiale de morbidité a augmenté, passant de 2,6 % des EVCI (espérance de vie corrigée de l’incapacité (DALY – Disability Adjusted Life Years) en 1990 à 3,7 % des AVCI en 2019.

L’industrie de l’alcool reste le principal obstacle à une action de santé publique en matière d’alcool fondée sur des données probantes. Et l’absence d’une infrastructure solide à tous les niveaux est  un frein à une action soutenue, au leadership, aux échanges et à la responsabilisation.

Prise de conscience croissante du poids des dommages causés par l’alcool

Il a fallu dix ans pour que les organes directeurs de l’OMS engagent un débat de fond sur la charge mondiale de l’alcool et la réponse politique nécessaire. La décision prise à l’unanimité par le Conseil exécutif en février 2020 (EB146) a finalement changé la donne et identifié l’alcool comme une « priorité de santé publique ».

La décision a également illustré la prise de conscience croissante de la lourde charge que les méfaits de l’alcool font peser sur un large éventail d’objectifs de santé et de développement. La décision a également souligné l’engagement croissant en faveur de mesures beaucoup plus ambitieuses pour protéger les personnes des méfaits de l’alcool.

La décision contenait quatre points d’action et exigeait de l’OMS et de son directeur général qu’ils:

  • Élaborent un plan d’action (2022-2030) en vue d’une mise en œuvre efficace de la stratégie mondiale de l’OMS en matière d’alcool en tant que priorité de santé publique;
  • Élaborent un rapport technique sur les activités transfrontalières de commercialisation, de publicité et de promotion de l’alcool, notamment celles qui visent les jeunes et les adolescents;
  • Fournissent des ressources adéquates pour les travaux sur les méfaits de l’alcool et les solutions politiques;
  • Examinent la stratégie mondiale de l’OMS en matière d’alcool et informent le Conseil exécutif lors de sa 166e session en 2030 pour la suite des actions à mener.

Deux années de priorité en matière de politiques sur l’alcool

La politique en matière d’alcool a été à l’agenda des deux dernières années – et il est crucial que celle-ci demeure un point focal de cet agenda dans les années à venir. L’OMS a mené un vaste processus de consultation de deux ans, afin d’élaborer le plan d’action mondial contre l’alcoolisme en vue d’accélérer l’élaboration et la mise en œuvre de la politique en matière d’alcool en tant que priorité de santé publique – un besoin urgent selon les États membres de l’OMS. Le processus de consultation comprenait des engagements mondiaux et régionaux avec les États membres, une réunion informelle et une consultation en ligne avec la société civile et le monde universitaire, ainsi que – de manière controversée – avec l’industrie de l’alcool, malgré un conflit d’intérêt évident.

Après deux ans de consultation et de négociation, la proposition du Secrétariat de l’OMS pour un plan d’action mondial en matière d’alcool a été approuvée à l’unanimité par le Conseil. Dans cette décision, les membres du Conseil exécutif de l’OMS recommandent à la 75e Assemblée mondiale de la santé (WHA75), qui se tiendra en mai 2022, d’adopter le projet de plan d’action mondial contre l’alcoolisme.

Points faibles et aspects positifs du plan d’action mondial contre l’alcool

Le plan d’action mondial contre l’alcool proposé présente plusieurs défauts : il normalise le rôle de l’industrie de l’alcool, maintient le dialogue de l’OMS avec celle-ci, et conserve le concept trompeur d’usage nocif de l’alcool, étant donné que les preuves ont montré qu’il n’existe aucune consommation positive d’alcool.

Les aspects positifs incluent une ambition et un engagement accrus, une meilleure infrastructure de la politique en matière d’alcool, ainsi que la mise en place d’un comité d’experts sur les problèmes liés à la consommation d’alcool.

Dans l’ensemble, cinq thèmes clés ressortent des déclarations, représentant les priorités, les préoccupations et les contextes nationaux :

  • Un soutien large et fort en faveur d’une action ambitieuse, incluant des objectifs ambitieux tels que la réduction de 20 % de la consommation d’alcool par personne.
  • Une attention prioritaire aux solutions les plus rentables et fondées sur des données probantes en matière de politique de l’alcool, les meilleures pratiques et le paquet technique SAFER.
  • Des appels sans équivoque pour que l’OMS investisse dans le soutien technique et le renforcement des capacités des États membres afin d’entraîner un plus large impact dans les pays.
  • L’accent mis sur l’importance de l’amélioration de la gouvernance et des infrastructures en matière de politiques sur l’alcool à tous les niveaux.
  • De sérieuses préoccupations sur l’ingérence de l’industrie de l’alcool et la nécessité d’élaborer des orientations techniques à l’intention des États membres sur la manière d’éviter les conflits d’intérêts potentiels et l’ingérence de l’industrie dans l’élaboration de la politique de santé publique en matière d’alcool, ou s’en protéger.