« La dépendance n’est pas un choix personnel »

Montse Rafel, directrice de Dianova International, parle de la campagne « Pour en finir avec la stigmatisation »

La stigmatisation, l'ennemi du rétablissement

« Nous devons cesser de faire la différence entre tous ceux qui ont besoin d’aide. Chacun a le droit de recevoir un soutien et des soins appropriés! » – Photo: CC

Montse Rafel est la directrice générale de Dianova International depuis 2006, années durant lesquelles elle a contribué à renforcer la collaboration entre la société civile et les organisations internationales.

Quel est l’objectif de la campagne ?

« La campagne vise à sensibiliser les gens aux conséquences physiques et psychologiques de la stigmatisation des personnes aux prises avec des troubles liés à l’utilisation de substances ou des dépendances comportementales. La campagne souligne entre autres que la dépendance n’est pas un choix personnel mais un problème de santé publique qui doit être traité en tant que tel ».

D’où est venue cette idée?

« Depuis ces dix dernières années, Dianova a lancé différentes campagnes internationales visant à sensibiliser les jeunes, les familles et les parents et les usagers de drogues eux-mêmes aux risques associés aux comportements addictifs.

« Cette année, nous avons voulu montrer qu’il est essentiel de mettre un terme à la stigmatisation des addictions, car les expériences de stigmatisation et de discrimination sont monnaie courante dans la vie des personnes qui doivent faire face à des problèmes d’alcool ou d’autres drogues ».

Quelles sont les conséquences de ces expériences?

« Tout d’abord, une grande partie des personnes qui souffrent d’un trouble addictif ne vont tout simplement pas se faire soigner, de peur d’être étiquetées entant que «toxico» ou «alcoolo». Si on était capable de sortir la stigmatisation, la culpabilité et la honte de l’équation, il leur serait beaucoup plus facile de faire une évaluation objective de leur situation et d’en parler ouvertement avec leur médecin.

« La stigmatisation et la discrimination représentent souvent un frein quand on veut se reconnecter avec sa communauté, accéder à l’emploi ou bien trouver un logement. De plus, la stigmatisation risque d’empirer les difficultés sociales des personnes et les conduire à l’isolement social et à l’exclusion, avec des conséquences dramatiques pour leur santé mentale et physique.

« Enfin, les expériences de stigmatisation et de discrimination risquent d’entraîner et même d’empirer les comportements à risques ».

En quoi consiste cette campagne?

« Nous avons créé des visuels où figurent des personnes susceptibles d’être victimes de stigmatisation et de discrimination. Le but de ces visuels est d’inviter le public, ainsi qu’un certain nombre de cibles spécifiques, à réfléchir à l’importance de respecter les droits et la dignité des personnes. Les images sont aussi un appel à l’action: nous devons cesser de faire la différence entre tous ceux qui ont besoin d’aide. Chacun a le droit de recevoir un soutien et des soins appropriés! ».

La campagne est-elle disponible dans différentes langues?

« Oui, la campagne sera diffusée dans huit langues et nous espérons qu’elle circulera largement, notamment dans les pays où notre réseau est présent, c’est-à-dire au Canada, au Chili, en Inde, en Italie, au Kenya, au Nicaragua, au Pakistan, au Portugal, en Espagne, en Suède, aux États-Unis et en Uruguay ».

Vous avez parlé des cibles spécifiques, de quoi s’agit-il?

« On peut faire l’expérience de la stigmatisation et de la discrimination à peu près partout, mais elles sont très répandues dans quatre contextes particuliers : les soins de santé, l’emploi, les médias et l’action publique ou politique. Une particularité de cette campagne est que nous allons aussi publier quatre documents avec une liste de « recommandations » adaptée aux différentes cibles. Par exemple, pour les médias, nous tenterons de démontrer que la façon dont les médias parlent des addictions et le langage qu’ils utilisent peuvent alimenter la stigmatisation et la discrimination ».

Qui est d’abord concerné par la stigmatisation?

« Trois groupes sont particulièrement stigmatisés: d’abord les femmes qui utilisent des substances addictives. Celles-ci sont soumises à une double stigmatisation, à la fois en tant que femmes et en tant qu’utilisatrices ou ex-utilisatrices de substances addictives – une situation qui peut encore s’aggraver lorsqu’ils ont des enfants.

 

« Les personnes qui se sont rétablies d’une consommation problématique d’alcool ou d’autres drogues sont également sujettes à des expériences de stigmatisation qui peuvent persister pendant des années. Imaginez, ces gens-là essaient sincèrement de reconstruire leur vie, mais on leur sert encore et toujours les préjugés et les stéréotypes basés sur la peur du «drogué». Notre société n’arrête pas de nous dire de nous dépasser, de parvenir à vaincre l’alcool et les autres drogues, de devenir de bons citoyens,  mais elle ne donne jamais aux gens concernés les moyens de le faire.

« Enfin, nous avons voulu souligner la stigmatisation des usagers de drogues eux-mêmes, car ils sont généralement perçus comme totalement immoraux et responsables de ce qui leur arrive. C’est une injustice flagrante. La dépendance est un problème dont les facettes et les facteurs de causalité sont multiples, mais aucun d’entre eux n’a quelque chose à voir avec le vice ou la faiblesse de caractère. Il faut comprendre que la stigmatisation, les politiques répressives et l’exclusion empêchent l’accès au traitement, à la réduction des méfaits et même aux autres services de santé; ils empêchent les gens de jouir pleinement de leurs droits ».

Quelles sont les implications pour les acteurs du rétablissement?

« La stigmatisation et la discrimination liées aux addictions existent partout. C’est pour cela que nous devons parler aux niveaux local, national et international. Pour nous, c’est quelque chose qui devrait figurer dans l’agenda des décideurs. Mettre fin à la stigmatisation et à la discrimination est un élément clé pour promouvoir des politiques antidrogues centrées sur la personne et respectueuses des droits humains.