Injection supervisée: Insite restera ouvert!

Site d'injection supervisée Insite

La Cour suprême du Canada a statué à l’unanimité le 29 septembre en faveur du maintien de l’exemption légale accordée au site d’injection supervisée Insite, à Vancouver. Désormais, les usagers de drogues injectables (UDI) de Downtown Eastside (Vancouver), pourront continuer de s’injecter leur propre drogue, en toute sécurité, avec du matériel stérile, sans craindre l’intervention de la police.

Des preuves scientifiques

Depuis sa création en 2003, le site d’injection supervisée Insite bénéficie d’une exemption à la loi réglementant certaines drogues et autres substances qui interdit la possession de drogues. Cette exemption lui a été accordée à la condition que son impact en matière de santé publique soit rigoureusement évalué.

Insite logoDe fait, cette injonction n’est pas restée lettre morte: en tout, Insite a fait l’objet de quelque trente études publiées dans une quinzaine de revues scientifiques, lesquelles ont toutes mis ses résultats probants en exergue, notamment en ce qui concerne la diminution du partage de seringues et de l’injection sur la voie publique et l’utilisation accrue des services de désintoxication et de traitement des addictions (1).

De plus, une analyse coûts/bénéfices du site, publiée dans le Journal de l’Association Médicale Canadienne, observe que l’établissement a permis d’économiser 18 millions de dollars et de gagner 1175 années de vie sur dix ans. Une autre analyse coûts/bénéfices publiée dans le International Journal of Drug Policy, en 2010, soulignait que le site permettait de prévenir chaque année trois décès liés au VIH et 35 cas de contamination au VIH, soit un bénéfice sociétal de quelque 6 millions de dollars (2).

Enfin, pour enfoncer le clou, une autre étude publiée dans le prestigieux Lancet en 2011 montre que le nombre de décès par overdose dans le quartier avait diminué de 35%, soit un chiffre bien supérieur à la baisse de 9% observée en moyenne dans les autres quartiers de Vancouver (3).

« Un suicide parrainé par l’Etat » (!)

Alors que le projet Insite bénéficie d’un soutien local et national solide (4), le site n’a pourtant jamais cessé d’attirer les critiques depuis son ouverture, critiques venues notamment de l’administration Bush qui n’a pas hésité à qualifier Insite de « suicide parrainé par l’Etat ».

De plus, depuis son élection en 2006, le gouvernement conservateur n’a eu de cesse d’exprimer son opposition au site d’injection supervisée, le Premier Ministre, M. Stephen Harper allant jusqu’à affirmer de façon quelque peu démagogique: « Nous n’utiliserons pas l’argent des contribuables pour financer l’usage de drogues ».

Le centre Insite, à VancouverBref, le torchon brûlait depuis longtemps entre les partisans d’une approche pragmatique de la prise en charge des usagers de drogues par injection, et les tenants d’une ligne dure, conservatrice et strictement moraliste. Et lorsque le ministre Clement a annoncé son intention de ne pas reconduire l’exemption légale accordée au projet, Insite s’est tourné vers les tribunaux, jusqu’à la plus haute juridiction du pays.

Ce 29 septembre, la Cour suprême du Canada a finalement tranché en forçant le ministre Clement à accorder à Insite l’exemption légale nécessaire à son fonctionnement.

Les usagers de drogues doivent être aidés, non pas punis!

L’approche moraliste du gouvernement conservateur a donc été battue en brèche par la décision unanime des neuf sages de la Cour. Il est vrai que face à l’avalanche des preuves scientifiques en faveur du projet Insite, il semblait difficile de faire moins. Pourtant, avec la proximité de notre grand voisin et de sa politique de « guerre à la drogue », ce résultat était loin d’être acquis. Le bon sens l’a malgré tout emporté, et c’est tant mieux.

Les  usagers de drogues doivent être aidés et accompagnés plutôt que punis. Lorsqu’ils ne souhaitent pas arrêter de se droguer, il faut leur fournir les moyens de le faire en toute sécurité, tout en leur apportant un encadrement médical et psychologique adapté et accompagné d’un accès à des services de traitement. Les sites d’injection supervisés ne sont qu’une petite partie de l’ensemble des instruments de prévention et de traitement validés par la recherche. Et tous ces instruments ont leur raison d’être et leur utilité.

Pour terminer, nous pouvons souhaiter que la décision de la Cour suprême ouvre la voie à d’autres projets de sites d’injection supervisée ailleurs au Canada, et pourquoi pas, ailleurs dans le monde. La prévention, le traitement des addictions et le suivi des usagers exigent une diversité d’instruments et d’approches qui vont bien au-delà de la position moraliste du « non à toutes les drogues ». Mais il faut pour cela de la volonté et du courage politique.

Situé au 139 East Hastings Street, dans le quartier très défavorisé de Downtown Eastside, à Vancouver (Colombie Britannique), Insite est le seul centre d’injection supervisée qui soit légal en Amérique du Nord. Insite est avant tout destiné à fournir un environnement sûr pour l’injection de drogues (héroïne, cocaïne ou morphine), mais ne fournit aucune drogue aux usagers. Il bénéficie d’un staff médical dont le rôle est de fournir des services en santé mentale et en suivi et traitement des addictions; de plus, le personnel apporte les premiers soins en cas de blessure ou d’overdose. En 2009, le centre a enregistré une moyenne de 702 visites par jour, pour 5477 usagers uniques; 484 overdoses ont été prises en charge, avec succès. (Source Wikipedia – English version)

(1)

  • Methodology for evaluating Insite: Canada’s first medically supervised safer injection facility for injection drug users.
  • Wood E, Kerr T, Small W, et al. (September 2004). « Changes in public order after the opening of a medically supervised safer injecting facility for illicit injection drug users »
  • Wood E, Tyndall MW, Zhang R, Montaner JS, Kerr T (June 2007). « Rate of detoxification service use and its impact among a cohort of supervised injecting facility users ». Addiction 102 (6): 916–9.

(2)

  • Bayoumi AM, Zaric GS (November 2008). « The cost-effectiveness of Vancouver’s supervised injection facility ». CMAJ 179 (11): 1143–51.
  • Andresen MA, Boyd N (January 2010). « A cost-benefit and cost-effectiveness analysis of Vancouver’s supervised injection facility ». The International Journal on Drug Policy 21 (1): 70 – 6

(3)

  • Marshall BDL, Milloy M-J, Wood E, Montaner JSG, Kerr T. « Reduction in overdose mortality after the opening of North America’s first medically supervised safer injecting facility: a retrospective population-based study ». The Lancet

(4)

  • Voir le rapport final du comité consultatif d’experts préparé pour l’hon. Tony Clement, Ministre de la Santé