Alcool et jeunesse: Interview de Juan Ramón Villalbí Hereter, délégué du gouvernement espagnol pour le Plan national sur les drogues

Il est souvent difficile pour les adolescents d’ignorer les pressions sociales, et la pression des pairs peut avoir une influence considérable sur les comportements et les actions d’un adolescent, y compris sur sa consommation d’alcool – image: Shutterstock
La consommation d’alcool chez les jeunes est-elle inquiétante en Espagne?
Juan Ramón Villalbí Hereter : les niveaux de consommation et d’abus d’alcool ont un peu diminué des dernières années, pourtant il faut encore les réduire. Ces niveaux élevés sont le résultat d’une grande disponibilité, des prix bas et d’un marketing très actif qui conduit les jeunes à percevoir leur consommation comme quelque chose de normal.
C’est pourquoi nous suivons de près ces consommations grâce à une série d’enquêtes réalisées par le ministère depuis 1994, avec notamment l’enquête nationale sur la consommation de drogues dans l’enseignement secondaire en Espagne (ESTUDES) et l’enquête sur l’alcool et les drogues dans la population générale en Espagne (EDADES).
Les données obtenues montrent que l’alcool est la substance psychoactive la plus consommée par les adolescents de 14 à 18 ans, même si sa vente reste interdite aux mineurs. Il faut aussi souligner qu’une partie de ces jeunes consommateurs s’adonnent à un usage excessif, dont on sait qu’il peut avoir effets à long terme sur le cerveau en développement, soit jusqu’à 21 ans, et même après.
Les mesures prises pour faire face à la pandémie ont-elles eu un impact sur les habitudes de consommation des jeunes?
La pandémie de Covid-19 et les mesures prises à cet égard ont eu un impact sanitaire, social et personnel majeur à tous les niveaux. La consommation d’alcool et d’autres substances psychoactives a nettement diminué chez les adolescents et les jeunes durant les périodes de confinement et de restriction des activités de loisirs.
La diminution des cas d’intoxication a été particulièrement significative. C’est assez logique dans la mesure où à cet âge, la consommation a souvent lieu dans un contexte de loisirs et de groupe – deux éléments particulièrement impactés durant cette période. La Délégation du gouvernement pour le Plan national sur les drogues et l’Observatoire espagnol des drogues et des addictions suivent la situation grâce aux systèmes d’information déjà en place, et ce suivi a été renforcé par différentes initiatives, comme en témoignent les rapports sur l’impact de Covid-19 sur les addictions en Espagne publiés en 2020 et 2021. L’une des initiatives les plus ambitieuses a été l’enquête OEDA-COVID 2020, qui visait à suivre les éventuels changements associés à la pandémie dans la population espagnole.
Ces enquêtes ont confirmé nos observations: la réduction de la disponibilité et de l’accessibilité de l’alcool – soit le fait de pouvoir en acheter et en consommer en groupe – représente un facteur important dans la réduction de la consommation. Ces éléments nous montrent la potentielle valeur des mesures de prévention environnementale, qui influencent les environnements urbains d’un point de vue écologique et social.

La consommation d’alcool chez les mineurs est un grave problème de santé publique en Espagne et dans d’autres pays. L’alcool est la substance la plus consommée par les jeunes, et la consommation d’alcool par les jeunes présente d’énormes risques pour la santé et la sécurité – illustration : Shutterstock
Existe-t-il une corrélation entre la consommation problématique d’alcool et les comportements violents et/ou sexuels à risque ?
Une personne intoxiquée perçoit la réalité de manière altérée, ce qui influence sa perception des risques et son comportement. Ainsi, la consommation d’alcool peut amener l’individu à s’engager dans des activités à risque qu’il ou elle éviterait normalement.
Les niveaux de consommation d’alcool chez les jeunes sont étroitement liés au risque d’être impliqués dans des actes violents. De plus, celles et ceux qui commencent à boire précocement, fréquemment et en grande quantité ont davantage de risques de devenir auteurs ou victimes de violences.
À cet égard, il convient de noter qu’une grande partie de la violence liée à l’alcool se produit la nuit, en particulier le week-end, et se situe souvent dans ou à proximité des établissements où l’on consomme de l’alcool. C’est pourquoi nous avons encouragé et financé des programmes tels que Noctámbul@s, dont l’objectif est de réduire ces risques dans les lieux de divertissement.
Quels sont les outils dont elle dispose la délégation ?
Le principal outil pour améliorer les politiques de prévention est d’accroître la perception des risques liés à la consommation. Si la consommation est perçue comme banale, il est plus facile de boire et de boire beaucoup.
À cet égard, je tiens à souligner la mise en place du programme de formation des agents de mentorat, dans le cadre de l’accord avec la Fédération espagnole des municipalités et des provinces (FEMP). Ce programme se concentre sur les situations liées au milieu scolaire (prévention de la toxicomanie, de l’absentéisme scolaire, de la violence entre pairs) et au milieu ouvert (consommation sur la voie publique ou vente d’alcool et de tabac aux mineurs dans les locaux et établissements publics).
Il existe aussi d’autres mesures comme les protocoles de détection précoce et d’intervention auprès des mineurs vulnérables, l’élaboration de plans de prévention sur le lieu de travail, la promotion de la prévention dans les environnements de loisirs par le biais de l’appel à subventions aux Corporations Locales, et bien sûr l’amélioration des connaissances épidémiologiques en tant que base pour la préparation des politiques de prévention (EDADES, ESTUDES, ou Enquêtes sur le Travail).
Quelles mesures faut-il mettre en œuvre pour prévenir l’usage problématique chez les jeunes ?
Le principal déterminant de la consommation d’alcool chez les mineurs est l’influence sociale. Les adolescents veulent ressembler aux adultes, ils voient des publicités qui leur font croire que c’est ce que font les jeunes qui leur servent de modèle, et s’ils constatent que les autres boivent, ils feront la même chose dans le cadre du processus de passage à l’âge adulte. L’importance de l’influence sociale a été mise en évidence pour l’usage de tabac. C’est pourquoi, il est essentiel de changer ces normes sociales, qu’elles soient informelles (les habitudes communément acceptées dans les familles ou de la communauté) ou formelles, c’est-à-dire celles qui résultent des politiques et des règlements, et qui peuvent intégrer des éléments coercitifs (comme l’interdiction du marketing, de la vente ou de la consommation).
Le plan annuel du gouvernement se base sur la loi de protection des mineurs face à la consommation d’alcool. Mais on ne peut pas fermer les yeux sur la nécessité de renforcer les programmes de prévention environnementale, universelle, sélective et indiquée visant à prévenir la consommation problématique d’alcool chez les adolescents et les jeunes, en se fondant sur une perspective sexospécifique et équitable.
On a mentionné la nécessité d’une approche intersectorielle dans ce cadre, comment cela se traduit-il dans les politiques ?
Toute politique de santé doit se fonder sur la prise en compte des déterminants de la santé, des inégalités et de l’action intersectorielle. Nous devons développer une santé publique capable de répondre au monde globalisé et à ses aspects politiques, sociaux et économiques.
Une approche globale de la politique des drogues doit mettre en œuvre des mesures fondées sur des données probantes à chaque niveau d’intervention. Ce n’est pas de la rhétorique ; nous avons des exemples de cette année même, obtenus grâce à l’interaction entre différents ministères. Par exemple, la récente révision du code de la route fixe à zéro le taux d’alcoolémie pour les conducteurs mineurs.
À 16 ans, on peut conduire un cyclomoteur mais on est pas censés pouvoir se procurer de l’alcool, pourtant on sait que cette consommation existe. Cette modification de la réglementation, qui est plus stricte pour les conducteurs mineurs en état d’ébriété que pour les conducteurs plus âgés, dissocie l’âge légal pour conduire de la consommation d’alcool tout en renforçant auprès des mineurs le message social en faveur de la santé. C’est un exemple d’action intersectorielle qui va dans la bonne direction.