Les féministes reprennent possession de la journée internationale des femmes en tant que journée d’action
Par Saionara König-Reis
A l’occasion de la Journée internationale des femmes, divers mouvements féministes dans plus de 30 pays lancent un appel à la grève pour Une Journée sans Femmes, dans toutes leurs fonctions de production et de reproduction.
Depuis plus d’un siècle, partout dans le monde des femmes se sont unies derrière la bannière de ces journées nationales et internationales dans le but de combattre l’oppression, la discrimination et les inégalités. Dans l’histoire, ces journées ont à de nombreuses reprises servi de cadre à une forte mobilisation des femmes, pour le droit de vote, le droit de travailler, d’être propriétaire, d’être en sécurité chez soi et dans la rue, de disposer comme elles l’entendent de leur corps et plus encore. Obtenir ces droits a été l’objet d’âpres luttes, et nous sommes toujours très loin de pouvoir dire que toutes les femmes sont en sécurité et que toutes les sociétés offrent une chance égale à tous et à toutes.
Vers la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, les femmes sont entrées peu à peu dans le marché du travail en dépit de faibles salaires, d’horaires surchargés et de conditions souvent très difficiles. Depuis lors, elles n’ont eu de cesse de manifester et de lutter pour de meilleures conditions de travail et un mieux-être économique. Aujourd’hui, après plus de cent ans de luttes, on aurait pu imaginer que les disparités hommes-femmes au travail appartenaient au passé.
Au lieu de cela, dans l’Union européenne, les femmes reçoivent toujours un salaire 17% inférieur à celui des hommes, à travail équivalent. Dans le monde, seulement 20% des postes de direction sont occupés par des femmes. En 2016, 44% des femmes étaient inactives contre 18% des hommes, les femmes représentant 81% de la population inactive.
Tandis que l’Europe de l’Ouest mène la course en tête pour parvenir un jour à supprimer les disparités entre les sexes – soit au rythme actuel, dans 47 ans – les femmes d’Afrique ou du Moyen-Orient n’en verront pas la fin avant 356 ans !
Le site du Forum Economique Mondial propose un outil qui apporte des informations détaillées quant aux disparités hommes-femmes dans 144 pays différents, incluant entre autres : le temps restant avant de combler les inégalités, le classement mondial du pays, l’écart salarial actuel, les congés maternité, l’intégration dans le marché du travail et le taux d’alphabétisation.
Dans certains pays, l’écart économique entre les sexes est l’une des causes principales de la grève des femmes. Pourtant, leurs motivations varient en fonction de leur situation. La grève d’aujourd’hui vise aussi à sensibiliser aux violences sexistes et au harcèlement sexuel, à garantir l’accès aux droits sexuels et reproductifs et surtout à mettre un terme à la culture de l’inégalité et de la discrimination sexuelle qui nuit aux femmes et qui les rend plus vulnérables dans leur vie privée comme publique.
D’importantes mobilisations féminines ont eu lieu ces derniers mois dans divers pays, notamment en Argentine et ailleurs en Amérique latine, aux États-Unis, en Pologne, en Irlande et en Corée du Sud. La grève prend des visages différents selon les pays et selon les villes, mais nous sommes toutes unies pour reprendre possession de la Journée internationale des femmes en tant que journée d’action.
La grève des femmes aux USA
Les mouvements féministes américains se sont multipliés depuis la dernière élection présidentielle. En signe de résistance et en réaction contre les gouvernements ultraconservateurs élus dans ce pays comme dans d’autres, la Marche des Femmes du 21 janvier a montré le pouvoir des actions collectives et l’engagement de millions de personnes à travers le monde pour les droits des femmes et ceux des autres groupes minoritaires. Afin de donner de l’ampleur à ce mouvement, les militantes et les féministes américaines ont répondu à l’appel pour une grève mondiale des femmes le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, et en moins d’un mois, plus de 40 actions ont été organisées dans tout le pays.
Aux États-Unis, la grève des femmes porte un message fort pour l’émergence d’un nouveau féminisme. Selon les mots de Nancy Fraser, l’une des militantes à l’origine de cet appel aux Etats-Unis lors d’une allocution visant à mobiliser en vue de la grève d’aujourd’hui : « la légitimité du régime dans lequel nous vivons s’est effondrée (…) il est temps de rompre définitivement avec le ‘féminisme institutionnel’ adapté seulement à quelques privilégiées; il est temps de construire le ‘féminisme pour les 99%’ (le F99, comme l’appelle Fraser).
Ce mouvement soutient que le féminisme de cette génération doit appréhender la complexité des problèmes auxquels les différents groupes de femmes sont confrontées et il doit y répondre dans toutes leurs intersectionnalités. Surtout, ce féminisme interroge la structure systémique du capitalisme, du néo-libéralisme et de l’impérialisme, et il admet que dans un système fondé sur l’exploitation de l’autre, il est virtuellement impossible d’atteindre l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes.
En un moment d’énergies bouillonnantes autour du sens du mot féminisme et de l’engagement féministe, les femmes partout dans le monde doivent saisir cette occasion rare de s’unir autour d’objectifs et de combats communs, saisir l’occasion d’exiger des sociétés qu’elles respectent les femmes, les reconnaissent et leur fassent une place à toutes!