Drogues et santé publique: où allons-nous?

Face au phénomène des drogues, les politiques répressives se sont révélées inefficaces. L’approche de santé publique doit être prioritaire

Santé publique

Les effets de l’usage nocif de substances sont cumulatifs et contribuent de manière significative à des problèmes coûteux de santé physique, sociale et mentale. Il est donc essentiel de faire progresser des politiques qui favorisent une approche de santé publique des troubles liés à l’utilisation de substances, plutôt que de persister dans des politiques répressives – image Shutterstock

Par Lucía Goberna – Le 18 mai dernier, Dianova et ses partenaires organisaient un webinaire afin de sensibiliser à la dimension de santé publique du problème mondial des drogues et de souligner l’importance du rôle de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans ce domaine.

L’événement était organisé dans le cadre des dialogues de politique publique du Geneva Global Health Hub (G2H2), une série de débats qui a eu lieu durant la semaine précédant l’ouverture de l’Assemblée mondiale de la santé – le G2h2 est un forum d’organisations de la société civile travaillant dans le domaine de la politique de santé mondiale. Dans le cadre de ces discussions, l’événement de Dianova, en collaboration avec l’Association Internationale des Hospices et Soins Palliatifs, Harm Reduction International et Movendi International, visait à sensibiliser à la dimension de santé publique du problème mondial des drogues et à souligner l’importance du rôle actif de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à cet égard. Plus de cinquante personnes ont assisté à l’événement (voir la vidéo de l’événement).

En 2016, la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies consacrée au problème mondial de la drogue a réaffirmé la dimension de santé publique. Cependant, aujourd’hui encore, il est nécessaire de défendre cette perspective et de promouvoir des réponses fondées sur des preuves dans ce domaine. Les politiques répressives en matière de drogues n’ont pas amélioré la situation, elles l’ont même souvent aggravée.

Webinar participants

Les participants/es lors du webinaire: Lucía Goberna, Thomas Schwarz, Gisela Hansen, Vladimir Poznyak, Kristina Sperkova, Smriti Rana et Colleen Daniels – image: capture d’écran du webinaire

Le rôle de l’OMS

L’OMS est l’autorité de coordination des activités internationales en matière de santé. Elle travaille sur toutes les substances psychoactives (alcool, drogues illicites, stupéfiants) ainsi que les comportements addictifs. Parmi ses nombreuses fonctions, l’OMS formule des normes et des lignes directrices et fournit une aide technique dans le but de promouvoir des politiques et des interventions fondées sur des données probantes afin de réduire la demande de substances ainsi que les conséquences de leur usage.

Au cours de l’événement, le Dr Vladimir Poznyak, chef de l’unité Alcool, drogues et comportements addictifs de l’OMS, a décrit le rôle de l’organisation avant de détailler les informations qui seront présentées lors de la 75e session de l’Assemblée mondiale de la santé (WHA 75, 22-28 mai 2022). Les travaux de l’OMS dans ce domaine se concentrent notamment sur la prévention de l’usage, l’accès aux des médicaments contrôlés, le traitement des  personnes en difficulté avec les drogues, ainsi que sur les des services de réduction des risques et le suivi et l’évaluation.

La dimension de santé publique est évidemment un aspect clé du rôle de l’OMS. Depuis 2016, l’organisation fait des points de situation réguliers sur ce thème lors de l’Assemblée mondiale de la Santé ainsi que dans des publications dédiées. Lors de la prochaine WHA75, il sera décidé de poursuivre ou non la présentation régulière de ces rapports – ce que recommande l’OMS – permettant de maintenir la question à l’agenda politique de l’institution.

Accès aux médicaments contrôlés

Smriti Rana, de Pallium India, une association caritative visant à fournir des soins palliatifs de qualité et à soulager efficacement la douleur des patients, a souligné la nécessité d’un accès équilibré et équitable au soulagement de la douleur dans le cadre des soins palliatifs. Smriti a notamment insisté sur la situation alarmante dans laquelle se trouve l’Asie à ce niveau, en particulier l’Inde.

Les médicaments contrôlés jouent un rôle essentiel dans plusieurs domaines de la médecine, notamment le soulagement de la douleur, le traitement de la dépendance aux opiacés, l’obstétrique d’urgence, la neurologie et la psychiatrie. Dans la majeure partie du monde cependant, d’immenses disparités persistent dans l’accès aux médicaments opiacés essentiels: dans le monde, 75% des personnes toujours pas accès à un traitement antidouleur approprié et la consommation de morphine par habitant en Asie est 36 fois inférieure à la moyenne mondiale.

L’accès aux médicaments est largement reconnu comme un droit humain, pourtant le système semble être construit autour du contrôle plutôt que de l’accès contrôlé. En conséquence, il existe un écart énorme dans la consommation de médicaments contrôlés, ce qui se traduit par une somme immense de souffrances humaines. Cette situation peut être évitée par une action immédiate et décisive visant à garantir un accès adéquat aux médicaments antidouleur, en particulier dans les régions du monde où ils sont pratiquement inexistants, remplaçant ainsi une vision simplement restrictive par une véritable perspective de santé publique.

Accès aux antidouleurs dans le monde

75 % de la population mondiale n’a toujours pas accès à un traitement antidouleur approprié. La consommation de morphine par habitant en Asie est 36 fois inférieure à la moyenne mondiale – source IDPC : 10 Years of Drug Policy in India, How Far Have We Come, 2019 – crédit : Juan Fernandez Ochoa, IDPC

Prévention

Kristina Sperkova de Movendi International a parlé de la prévention de l’alcoolisme et de la toxicomanie. Elle a souligné que la prévention est un instrument sous-utilisé, bien qu’il constitue un élément crucial d’une approche de santé publique permettant d’améliorer aussi les résultats des autres types d’interventions.

Kristina a souligné que, malheureusement, les pratiques inefficaces et non scientifiquement validées ont toujours cours. Dans ce domaine, a-t-elle souligné, il est nécessaire de mieux cibler les financements et de ne financer que les programmes ayant démontré leur efficacité.

Traitement, rétablissement et réinsertion sociale

La Dr. Gisela Hansen, de Dianova Espagne, a présenté les éléments requis par l’approche de santé publique ainsi que les principaux défis dans ce domaine. Parmi ceux-ci, il faut noter que la disponibilité des programmes de traitement est encore limitée. Il convient aussi de se concentrer sur un travail de qualité, fondé sur des preuves et proposé dans le cadre d’un ensemble de services de santé constituée de différents types de programmes permettant de répondre aux besoins de chacun.

Face à un phénomène aussi complexe que les drogues, où les déterminants sociaux sont nombreux, il n’est pas logique de travailler exclusivement sur la consommation de substances comme seul objectif thérapeutique. Tous les composantes de la problématique doivent être abordées. De même, on constate qu’au niveau de la conception des politiques, il existe des lacunes en termes de services de rétablissement et de réinsertion sociale. Lorsque ces aspects ne font pas partie du continuum de soins – avec l’engagement et les financements qu’ils demandent – cela revient à proposer une prise en charge partielle à un grand nombre de personnes. On est bien loin de la prise en charge intégrale, et les programmes de traitement s’avèrent alors inefficaces.

Réduction des risques

Pour compléter le large éventail de sujets abordés, Colleen Daniels, de Harm Reduction International, a présenté les énormes lacunes dans la fourniture de services de réduction des risques dans le monde, les obstacles à l’accès auxquels les personnes concernées sont confrontées (en particulier les femmes) et le sous-financement généralisé des services. Pour donner un peu de contexte : seulement 5% du niveau de financement nécessaire est accordé à ces services dans les pays à revenu faible et moyen.

Colleen a souligné que ces services doivent être fermement établis en tant que réponse sanitaire et que les lois punitives ne font que marginaliser davantage les personnes qui consomment des drogues, en les éloignant du système de soins.

Pour conclure, Dianova tient à remercier les intervenants pour avoir partagé leurs connaissances et leurs expériences afin d’offrir une large perspective sur ce que signifie concrètement la mise en œuvre d’une approche de santé en matière de drogues. Nous tenons également à remercier G2H2 pour l’opportunité qu’ils nous ont donnée. Il ne fait aucun doute que pour avancer dans ce domaine, il est important d’aborder les politiques des drogues non seulement au sein des forums sur les drogues, mais aussi dans ceux qui abordent les questions de santé, de droits humains et de développement.