Cannabis, un nouveau visage pour une nouvelle politique (1/3)

Dans un long article très documenté, le Dr. Kevin Sabet revient sur l’historique de la légalisation du cannabis et s’attaque à une industrie naissante, avide de profit et prête à faire du cannabis le nouvel eldorado des entrepreneurs. Le Dr Sabet détaille les premières conséquences que l’on peut tirer de la légalisation du cannabis, tout en dénonçant les dérives, selon lui, de l’utilisation du cannabis à des fins médicales. L’article du Dr. Sabet sera publié à trois parties, à partir d’aujourd’hui, jusqu’au vendredi 14 février.

En 1979, au plus fort du mouvement pro-légalisation aux États-Unis, le responsable de l’Organisation Nationale pour la Réforme des Lois sur le Cannabis  (NORML) déclarait lors d’une interview que : « Nous utiliserons (le cannabis à usage médical) comme un cheval de Troie pour donner au cannabis une bonne réputation. » Et c’est bien ce qu’ils ont fait. Bien que 17 ans aient passé avant que les premiers essais de légalisation ne voient le jour, on a continué à avancer sur la voie de l’acceptation et de la normalisation du cannabis. Jusqu’à l’arrivé des milliardaires. Depuis les années 70, trois parmi les plus gros bailleurs de fonds – le spéculateur en devises, Georges Soros, le fondateur de Progressive Insurance, Peter Lewis, ainsi que John Sperling, fondateur de l’Université de Phoenix – se juré d’aider la NORML et d’autres activistes à atteindre leur objectif ultime : la pleine légalisation de la vente du cannabis.

Dr Kevin SabetDepuis lors, 20 états ainsi que le district de Columbia ont légalisé le cannabis à usage « médical » pour tout personne justifiant d’une maladie invalidante, de douleurs lombaires, de maux de tête, ou encore de… vous voyez le tableau. Peu importe que l’Association Médicale Américaine, la Société du Glaucome, la Fondation MS ou encore l’Institut du Cancer, n’aient jamais recommandé l’usage médical du cannabis (ni aucun autre usage d’ailleurs) et qu’ils voient d’un mauvais œil la distribution du cannabis par l’état, hors pharmacie. Les électeurs de ces états, littéralement saturés de messages présentant le cannabis à usage médical comme une panacée, en ont décidé autrement. A présent, parmi les états qui ont commencé par légaliser le cannabis à usage médical, deux l’ont purement et simplement légalisé. 

Comment en sommes-nous arrivés là, et vers quoi allons-nous ?

En premier lieu, il est clair que l’appréciation par la population américaine du potentiel de dangerosité du cannabis est incompatible avec le consensus scientifique sur la dangerosité réelle du cannabis. Comme pour tout produit psychoactif (y compris l’alcool), un petit nombre d’usagers subissent les dommages les plus importants (et consomment la plus grande partie du volume total), c’est la raison pour laquelle la plupart des gens ont une expérience du produit plutôt bénigne. Ce qui conduit au sentiment général selon lequel « la fumette, ce n’est pas grave ». Etant donné que la plupart des fumeurs ne deviendront jamais dépendants et qu’ils ne causeront aucun problème pour la société, la société américaine en est venue à considérer le cannabis comme un produit inoffensif.  Dans la réalité, l’usage de cannabis est particulièrement nocif pour les adolescents (comme pour les adultes).[1]

On retrouve les dommages qui y sont liés dans nombre de catégories – y compris la possibilité d’une réduction significative du QI chez les jeunes qui en font un usage abusif[2], la survenue et l’aggravation d’une maladie mentale [3], de mauvais résultats d’apprentissage[4], des dommages pulmonaires[5], ainsi qu’une dépendance.[6] De plus, les  salles d’urgence font état d’attaques de panique aiguës et d’épisodes psychotiques[7]  en lien direct avec la drogue dans près de quatre cent mille cas chaque année.  Sans compter que le cannabis est la raison la plus invoquée dans les demandes de traitement[8].

Le cannabis au volant est également à proscrire. Selon une méta-analyse publiée dans la revue scientifique Epidemiological Reviews portant sur neuf études au cours de vingt dernières années : « les conducteurs positifs au cannabis ou bien ayant déclaré avoir consommé du cannabis, ont plus de deux fois plus de risques d’être impliqués dans un accident de la route. »[9]

En quoi le statut illégal du cannabis influence-t-il les politiques en la matière ? Il a été établi que le cannabis illégal était plus cher que le cannabis légal (la prohibition augmente artificiellement le prix des drogues à cause du risques inhérent aux activités criminelles). Cela signifie que le prix du cannabis diminuera s’il devient légal, tandis que la consommation augmentera sans le moindre doute. Les chercheurs du RAND ont estimé que si la Californie avait en 2010 légalisé l’usage récréatif du cannabis, en vertu d’un système en laissant le contrôle aux municipalités, le prix du cannabis aurait chuté de 80%  tandis que la consommation aurait doublé (cependant les projections relatives à la consommation et au prix ont été particulièrement mises en doute).[10]

Les deux premiers gouvernements à légaliser complètement le cannabis ont été le Colorado et Washington, états dans lesquels les électeurs ont, en 2012, fait passer des initiatives de consultation sur la légalisation. Les deux lois visent à : « réglementer le cannabis au même titre que l’alcool. » Si l’on compare la consommation d’alcool et celle de cannabis dans ces deux états, on obtient un aperçu de combien l’usage de cannabis pourrait augmenter suite à la légalisation, s’il était effectivement réglementé comme l’alcool. Les jeunes de 12-17 ans sont deux fois plus nombreux à consommer de l’alcool que du cannabis. Trois fois plus nombreux parmi les jeunes adultes (18-25 ans)[11]. Plus inquiétant encore, à l’échelle nationale, les jeunes de 12 ans étaient six fois plus nombreux à consommer de l’alcool que du cannabis en 2009.[12]

Le Dr. Sabet est le directeur du Drug Policy Institute de l’Université de Floride et professeur assistant au Collège de Médecine, Département de Psychiatrie. Il a cofondé le projet SAM (Smart Approaches to Marijuana) avec Patrick Kennedy, ancien membre du congrès des Etats-Unis. Kevin Sabet est aussi l’auteur de Reefer Sanity: Seven Great Myths About Marijuana (2013, Beaufort) (Sept mythes sur le cannabis), consultant auprès de plusieurs organisations américaines et internationales comme l’ONU, via sa société the Policy solutions Lab. Le Dr Sabet est régulièrement invité à faire part de son expérience auprès des commissions gouvernementales ainsi que dans les rubriques opinions des plus grands titres de presse. 

  1. American Medical Association. (2009). Report 3 on the Council of Science and Public Health: Use of Cannabis for Medicinal Purposes; Joffe, E. & Yancy, W.S. (2004). Legalization of Marijuana: Potential impact on youth. Pediatrics: Official Journal of the American Academy of Pediatrics, 113(6);American Psychological Association. (2009). Position Statement on Adolescent Substance Abuse;California Society of Addiction Medicine. (2009). Impact of Marijuana on Children and Adolescents.; American Society of Addiction Medicine Statement Retrieved here: http://www.asam.org/advocacy/find-a-policy-statement/view-policy-statement/public-policy-statements/2012/07/30/state-level-proposals-to-legalize-marijuana.
  2. ]See Meier, M.H.; Caspi, A.; Ambler, A.; Harrington, H.; Houts, R.; Keefe, R.S.E.; McDonald, K.; Ward, A.; Poulton, R.; and Moffitt, T. Persistent cannabis users show neuropsychological decline from childhood to midlife.Proceedings of the National Academy of Sciences 109(40):E2657–E2664, 2012. Also Moffitt, T.E.; Meier, M.H.; Caspi, A.; and Poulton, R. Reply to Rogeberg and Daly: No evidence that socioeconomic status or personality differences confound the association between cannabis use and IQ decline. Proceeding of the National Academy of Sciences 110(11):E980-E982, 2013. 
  3. See for example: Andréasson S., et al. (1987). Cannabis and Schizophreia: A longitudinal study of Swedish conscripts. Lancet, 2(8574); Moore, T.H., et al. (2007).  Cannabis use and risk of psychotic or affective mental health outcomes: a systematic review. Lancet, 370(9584); Large M., et al. (2011). Cannabis Use and Earlier Onset of Psychosis: A Systematic Meta-analysis. Archives of General Psychiatry, 68(6); Harley, M., et al. (2010). Cannabis use and childhood trauma interact additively to increase risk of psychotic symptoms in adolescences. Psychological Medicine, 40(10); Lynch, M.J., et al. (2012). The Cannabis-Psychosis Link. Psychiatric Times.
  4. Yucel, M., et al. (2008). Regional brain abnormalities associated with long-term heavy cannabis use. Archives of General Psychiatry, 65(6).
  5. See for example: American Lung Association. (2012, November 27). Health Hazards of Smoking Marijuana. Retrieved from: http://www.lung.org/stop-smoking/about-smoking/health-effects/marijuana-smoke.html; Tashkin, D.P., et al. (2002). Respiratory and immunologic consequences of smoking marijuana. Journal of Clinical Pharmacology, 4(11); Moore, B.A., et al. (2005). Respiratory effects of marijuana and tobacco use in a U.S. sample. Journal of General Internal Medicine, 20(1); Tetrault, J.M., et al. (2007). Effects of marijuana smoking on pulmonary structure, function and symptoms. Thorax, 62(12); Tan, W.C., et al. (2009). Marijuana and chronic obstructive lung disease.
  6. See for example: Anthony, J.C., Warner, L.A., Kessler, R.C. (1994). Comparative epidemiology of dependence on tobacco, alcohol, controlled substances, and inhalants: Basic findings from the National Comorbidity Survey. Experiential and Clinical Psychopharmacology, 2; Budney, A.J., et al. (2008). Comparison of cannabis and tobacco withdrawal: Severity and contributions to relapse. Journal of Substance Abuse Treatment, 35(4); Tanda, G., et al. (2003). Cannabinoids: Reward, dependence, and underlying neurochemical mechanisms – A recent preclinical data. Psychoparmacology, 169(2).
  7. Substance Abuse and Mental Health Services Administration, Center for Behavioral Health Statistics and Quality. (2011). Drug abuse warning network, 2008: National estimates of drug-related emergency department visits. HHS Publication No. SMA 11-4618. Rockville, MD.
  8. Substance Abuse and Mental Health Services Administration, Center for Behavioral Health Statistics and Quality. Treatment Episode Data Set (TEDS): 2000-2010. National Admissions to Substance Abuse Treatment Services. DASIS Series S-61, HHS Publication No. (SMA) 12-4701. Rockville, MD: Substance Abuse and Mental Health Services Administration, 2012
  9. Mu-Chen Li, Joanne E. Brady, Charles J. DiMaggio, Arielle R. Lusardi, Keane Y. Tzong, and Guohua Li.  (2011). “Marijuana Use and Motor Vehicle Crashes.” Epidemiologic Reviews.
  10. Beau Kilmer, Jonathan P. Caulkins, Rosalie Liccardo Pacula, Robert J. MacCoun, Peter H. Reuter, Altered State? Assessing How Marijuana Legalization in California Could Influence Marijuana Consumption and Public Budgets, RAND, 2010. And see Kilmer, Beau , Jonathan P. Caulkins, Brittany M. Bond and Peter H. Reuter. Reducing Drug Trafficking Revenues and Violence in Mexico: Would Legalizing Marijuana in California Help?.Santa Monica, CA: RAND Corporation, 2010.
  11. State Estimates of Substance Use from the 2008-2009 National Surveys on Drug Use and Health. Substance Abuse and Mental Health Services Administration, Bethesda, Maryland, 2010.
  12. 2009 National Survey on Drug Use and Health. Substance Abuse and Mental Health Services Administration, Bethesda, Maryland, 2010.