Approche intersectionnelle de la stigmatisation

Dianova organisait une table ronde pour discuter de la stigmatisation des addictions du point de vue des professionnels du secteur

Stigmatisation des addictions

La stigmatisation a le potentiel d’affecter négativement l’estime de soi d’une personne, de nuire aux relations avec ses proches et d’empêcher les personnes souffrant d’addiction d’accéder à un traitement – Image adaptée de Shutterstock.

La stigmatisation des personnes qui consomment ou ont consommé des drogues affecte leur santé émotionnelle, mentale et physique, leurs chances de trouver et de conserver un emploi ou un logement, voire leurs relations sociales. La stigmatisation retarde l’accès aux services de réduction des risques ou de traitement chez celles et ceux qui en ont le plus besoin. Enfin, la stigmatisation peut augmenter la prise de risques et aggraver les problèmes sociaux et de santé associés à la consommation de substances.

Dianova a souhaité approfondir la question de la stigmatisation à la suite d’une formation exécutive organisée par le Groupe Pompidou[1] à Malte et en Croatie, avec l’organisation du séminaire en ligne « Stigmatisation et addiction : où en sommes-nous aujourd’hui ? ». L’événement a été suivi par environ 70 participants qui ont eu accès à un service d’interprétation en anglais et en espagnol. Voir l’enregistrement de l’événement en bas de page.

L’événement était organisé 13 janvier dernier sous la forme d’une table ronde en ligne avec la participation de cinq personnes qui ont pris part à la formation des cadres du Groupe Pompidou en tant qu’intervenants et participants :

  • Gisela Hansen : professionnelle dans le domaine du traitement et de l’intervention pour Dianova Espagne. Gisela est spécialisée dans le genre, la stigmatisation et la perspective des enfants dans le domaine des addictions et possède une solide expérience universitaire et de terrain.
  • Maria Otero (UISCE) développe son activité dans le service aux personnes qui consomment des drogues en Irlande. Elle travaille dans le plaidoyer et concentre son action sur la réduction des risques et la prévention des overdoses dans une perspective fondée sur les droits de la personne.
  • Ricardo Fuertes a axé sa carrière sur les services aux personnes vivant avec le VIH et aux personnes LGBTI+ dans les services de réduction des risques et, plus récemment, en tant que conseiller politique auprès de la municipalité de Lisbonne (Portugal).
  • René Stamm a travaillé pendant 25 ans à l’Office fédéral suisse de la santé publique où il s’est concentré sur l’autonomisation des professionnels des services de prise en charge des addictions. René est un collaborateur actif du Groupe Pompidou.
  • Sabina Bredova (Slovaquie) est assistante sociale. Elle a notamment travaillé auprès de la population Rom, des usagers de drogues injectables et des travailleuses du sexe.

 

Perspective intersectionnelle

L’objectif de la table ronde était d’approfondir la question de la stigmatisation de manière intersectionnelle afin d’analyser comment différents axes de vie convergent vers la stigmatisation et la discrimination et de proposer différentes manières d’y faire face pour les professionnels des services de prise en charge des addictions. Sensibiliser et former les personnes du secteur est indispensable si nous voulons accorder notre pleine attention aux personnes tout en validant leurs différences.

En outre, face à la concomitance de différents problèmes chez une même personne (violence de genre, consommation problématique de substances, santé mentale, pauvreté, etc.), nous devons mener des actions conjointes et coordonnées entre les réseaux de soins, en cessant d’aborder les personnes de façon sectorielle et partiale et en développant des méthodes de travail complètes, efficaces et globales.

La stigmatisation due à la consommation de drogue et sa relation avec d’autres formes de discrimination

La stigmatisation se traduit par des attitudes et des stéréotypes du quotidien susceptibles de générer des préjugés qui se reflètent dans les lois et règlements, et qui contribuent à l’exclusion des personnes. Cette exclusion se traduit par des difficultés d’accès aux services de santé (médicaux, psychologiques et sociaux) qui ne se rencontreraient dans aucune autre maladie. Les préjugés qui entourent l’utilisation des thérapies de substitution (méthadone, Suboxone) en sont un exemple clair.

L’impact de la stigmatisation sur la conception des politiques et des services de prise en charge des dépendances est évident. Il est donc important de travailler avec les décideurs politiques pour s’assurer que la stigmatisation ne vienne pas d’en haut et ne se répercute sur la prise de décision, la conception et la mise en œuvre des politiques et des programmes.

Quit Stigma Now

En 2018, Dianova lançait une campagne de sensibilisation aux conséquences physiques et psychologiques de la stigmatisation des personnes confrontées à des troubles de l’usage de substances ou à des addictions comportementales

Les progrès réalisés au cours de la dernière décennie

L’épidémie de VIH a conduit les pays d’Europe occidentale à repenser leurs priorités. De plus, les progrès réalisés dans le domaine des neurosciences ont permis d’expliquer une partie des processus liés au système de récompense et à la dépendance, ce qui a permis de remettre en question les conceptions moralisantes de l’usage problématique de substances. De fait, on assiste actuellement à un  changement de paradigme (de façon différente selon les pays) depuis la perspective pénale vers une perspective de santé publique.

Le militantisme des personnes qui consomment ou ont consommé des drogues a été encouragé, même si le chemin à parcourir est encore long. En raison de la stigmatisation les personnes qui consomment ou ont consommé des drogues ont de la difficulté à s’organiser pour faire valoir leurs droits. En tout état de cause, ce type d’activisme doit se poursuivre et ses acteurs doivent s’impliquer dans les processus décisionnels et rechercher des financements publics.

Le rôle des familles

Il faut aussi tenir compte de la stigmatisation dont souffrent les familles des personnes concernées, lesquelles ne bénéficient d’aucun soutien de la société ou des institutions. Les familles doivent être considérées comme autant de parties prenantes des politiques en matière de drogues (comme le fait la stratégie irlandaise en la matière). La stigmatisation dont souffrent les familles des victimes d’overdose est un exemple clair du manque d’empathie et de compréhension du problème de l’usage problématique de drogues.

 

Les services d’accompagnement qui prennent en charge ces violences doivent aussi tenir compte de cette différenciation. Par exemple, la violence peut parfois venir de la fratrie dans le cas des personnes transgenres.

Dans certains cas également, il s’avère que ce sont les membres de la famille des personnes suivies au sein des services d’addictologie qui sont aux prises avec une addiction. C’est pour ces raisons qu’il est indispensable de travailler avec tous les membres de la famille.

Lutter contre la stigmatisation dans les services de prise en charge des addictions

Au sein même des services de prise en charge des dépendances, on observe des modèles selon lesquels les personnes à même d’utiliser ces services présentent un profil déterminé (ce sont principalement des hommes, hétérosexuels, appartenant à une certaine tranche d’âge, originaires du même pays). Ces modèles ne tiennent pas compte d’autres profils et identités sexuelles dans la conception et la mise en œuvre des services. Afin de créer des espaces professionnels sûrs, nous devons tenir compte des différentes situations de vulnérabilité des personnes.

Les recommandations du rapport du Groupe Pompidou sur la réglementation des traitements de substitution (traitement par agonistes opioïdes) constituent un exemple de la manière de lutter contre la stigmatisation dans les services d’addictologie. Le rapport propose aux gouvernements un ensemble de recommandations fondées sur le respect des droits humains et les connaissances scientifiques actuelles afin de fournir des services dénués de toute discrimination.

Cependant, c’est aussi par de petites initiatives que l’on peut changer les choses. Par exemple, dans le cas du travail avec la communauté LGTBI+, les services de prise en charge des dépendances peuvent mettre l’accent sur la formation et sur la collaboration avec les organisations qui représentent cette population. En participant à des journées de type gay pride, à des festivals de cinéma, ou encore en arborant des drapeux ou des affiches représentatives de la communauté LGTBI+, ces services peuvent envoyer des signaux clairs qui permettent de faire tomber un certain nombre de barrières.

 

Parfois, les professionnels peuvent être confrontés à des attitudes stigmatisantes venant de leurs propres collègues. Dans ces cas-là, il est important de comprendre ce qui amène ces attitudes afin de mettre en place des protocoles pour y remédier au mieux.

Enfin, il est essentiel d’être conscient que ce qui est applicable aujourd’hui peut être obsolète demain. D’où l’importance de la formation continue et du contact avec des professionnels de différentes régions du monde qui peuvent suivre des approches différentes.

Changements structurels et culturels

Les changements nécessaires sont aussi d’ordre structurel. Par exemple, il est essentiel de mettre fin à la guerre contre les drogues, qui est en fait une guerre contre les usagers de drogues. Il s’agit de faire valoir des revendications plus larges.

Il ne s’agit pas tant de changer la culture, mais plutôt de travailler sur l’acceptation de la diversité et de concevoir des interventions en tenant compte du fait que la population n’est pas un tout homogène. Le travail de prévention primaire dans les écoles joue un rôle important à cet égard.

En outre, il est important d’assouplir le concept de famille en fonction des réseaux de soutien des personnes et de travailler avec eux sur le terrain et au niveau du plaidoyer.

Les actions visant à lutter contre la stigmatisation des personnes qui consomment des drogues dans une perspective intersectionnelle peuvent être développées à différents niveaux, depuis la conception des politiques en matière de drogues, jusqu’à l’analyse de ses propres préjugés et attitudes en tant que professionnel. Tout y contribue et l’important est de commencer.

Dianova tient à remercier les intervenants d’avoir partagé leur temps, leurs expériences et leurs connaissances de manière honnête et interactive. Ce fut un dialogue enrichissant dont nous sommes repartis avec une perspective optimiste et proactive.

Ensemble, plus loin!

Vidéo de l’événement

[1] Le Groupe Pompidou est une plateforme de coopération du Conseil de l’Europe sur les questions de politiques en matière de drogues