Addiction et cupidité

Avons-nous les moyens d’agir contre la crise des opiacés? Au vu de l’hécatombe causée par l’épidémie, il serait plus juste de dire : « avons-nous les moyens de ne pas le faire ? »

Prescription drugs and dollars

En 6 ans, trois entreprises pharmaceutiques se sont partagées 17 milliards de dollars en vendant des médicaments opiacés dans le seul État de Virginie-Occidentale – Photo: Chris Potter – ccPixs.com, licence: CC BY 2.0

Par Carl Ellison – Avant d’aborder la crise des opiacés, on devrait identifier quelles sont ses causes profondes. Dans ce cas, il y en a deux. La première réside évidemment dans notre capacité à développer des besoins irrépressibles pour diverses choses et dans notre incapacité à reconnaître ce problème avant qu’il ne se transforme en addiction.

La deuxième cause de la crise des opiacés est liée à la cupidité.

Au cours des 25 dernières années, la cupidité s’est glissée dans tous les aspects de notre économie et de nos vies. En tant que cadre d’une grande compagnie d’assurance maladie, c’est ce que j’ai constaté, notamment au travers des pratiques de facturation de certains fournisseurs de soins de santé, des salaires astronomiques accordés aux administrateurs d’hôpitaux, aux médecins et aux dirigeants de compagnies pharmaceutiques et d’assurance maladie.

Associée à la crise des opiacés, la cupidité est aussi répandue que méprisable car elle affecte la santé et le bien-être des gens, elle nuit aux familles, aux communautés, aux forces de l’ordre et jusqu’au plus petit échelon du gouvernement. Alors, de qui émane-t-elle et qui en bénéficie ? Elle est le fait de certains médecins et de certaines cliniques devenues des machines à délivrer des ordonnances pour analgésiques opiacés. Elle est le fait des pharmacies qui dispensent ces mêmes médicaments par tombereaux entiers. Sans oublier les responsables de l’industrie pharmaceutique, plus que désireux de fournir des volumes outranciers d’analgésiques via leurs grossistes.

En 2016, des journalistes du Charleston Gazette-Daily Mail en Virginie-Occidentale ont analysé les données d’expédition de trois entreprises de fabrication de médicaments et se sont rendu compte que ces dernières avaient engrangé quelque 17 milliards de dollars en vendant des analgésiques opiacés dans le seul État de Virginie-Occidentale, soit 423 millions de comprimés entre 2007 et 2012. Parmi les 55 contés de l’État, six ont le triste record du plus grand nombre de décès liés à l’addiction aux opiacés dans tout le pays. En six ans, plus de 2.000 personnes sont mortes d’une overdose d’hydrocodone  ou d’OxyContin. Tout cela dans un Etat qui compte à peine 1.8 millions d’habitants.

Le Gazette-Mail a également constaté que dans une petite bourgade de 392 habitants, en Virginie-Occidentale, une seule pharmacie avait reçu quelque 9 millions de comprimés en deux ans. Soit 11.500 comprimés par an et par habitant. On pourrait en déduire toute une kyrielle de conclusions, mais il saute aux yeux que les médecins rédigeaient beaucoup d’ordonnances d’antidouleur, que la pharmacie les commandaient et que les fabricants en faisaient la livraison sans sourciller. Il est d’ailleurs assez ironique de voir ces mêmes distributeurs blâmer les médecins pour l’épidémie d’opiacés, alors qu’ils ont commencé dès le début des années 90 à vanter des produits soi-disant parfaitement adaptés aux patients souffrant de douleurs chroniques, et ce avant que les médecins ne prennent le relais en prescrivant ces mêmes produits de façon disons… très libérale.  Inutile de dire qu’avant cela, les opiacés n’étaient donnés qu’aux personnes en grande souffrance, la plupart du temps en fin de vie.

 

Alors, comment traiter les causes profondes de la crise des opiacés – l’addiction et la cupidité ? La réponse doit être double et simultanée. Il faut d’abord déterminer et évaluer quelles sont les meilleures méthodes de réadaptation des personnes addictes. Et dans un deuxième temps, il faut par diverses mesures réduire considérablement l’offre d’opiacés commandés par les médecins, dispensés par les pharmacies et livrés par les grossistes.

Le traitement et la réadaptation des personnes addictes exigera des ressources importantes venant de tous les secteurs du pays. Tous les échelons du gouvernement (local, fédéral et de l’état) doivent apporter un financement suffisant  aux organisations publiques et privées qui ont mis en oeuvre puis documenté les meilleures pratiques de traitement visant à permettre aux individus de redevenir des citoyens productifs.

Pour diminuer le nombre de personnes dépendantes, le gouvernement fédéral et tous les acteurs de la santé doivent établir des politiques visant à réduire le nombre d’opioïdes fabriqués et mis à la disposition des patients souffrant de maladies chroniques. Cela demande de mettre en place des politiques et des critères d’évaluation des conditions médicales devant être traitées par les opiacés.

À propos de l’auteur

Carl EllisonCarl Ellison est diplômé de l’Institut de technologie de l’Université de Virginie-Occidentale. Il a travaillé pendant cinq ans comme auditeur fédéral pour le ministère de l’Éducation et des services sociaux des États-Unis, avant d’entreprendre une carrière de 35 années auprès du principal fournisseur de soins de santé de Virginie-Occidentale.

Au cours de ses 35 ans avec les organismes Blue Cross et Blue Shield, Carl a occupé plusieurs postes de direction, notamment dans les ventes, le marketing, les programmes fédéraux et les opérations internes. Dans le cadre de ses récentes fonctions chez Highmark Blue Cross Blue Shield en Virginie-Occidentale, Carl a été directeur de la planification d’entreprise, des communications et des relations publiques. À ce poste, Carl a travaillé avec des représentants du gouvernement ainsi que des responsables des services de santé en charge du contrôle des coûts et de l’amélioration des services de santé. Carl a également été responsable d’un groupe de travail législatif conjoint chargé d’évaluer et d’améliorer les services de santé en Virginie-Occidentale.