Réduction des risques et réponse mondiale face au sida

La dignité humaine, le leadership et l’action communautaire sont primordiales – même au cours d’une année de pandémie 

Journée mondiale sida

La réponse apportée face au VIH a toujours été fondée sur le leadership communautaire et l’accès aux services de santé ; pourtant jamais auparavant ces questions n’avaient occupé une place aussi importante dans l’agenda mondial que cette année 2020. – image: Shutterstock, CC

Par Naomi Burke-Shyne  – La réduction des risques est intrinsèquement liée au mouvement de lutte contre le sida, car les services de base de réduction des risques, tels que les programmes d’échange d’aiguilles et de seringues, permettent de prévenir la transmission du VIH. L’approche qui guide la réduction des risques est plus importante encore car elle est fondée sur l’idée selon laquelle il ne faut pas juger les gens mais leur reconnaître la dignité et les droits qui sont inhérents à tout être humain. Depuis des décennies, c’est l’idée même qui accompagne le mouvement de lutte contre le sida.

Environ 269 millions de personnes consomment des drogues dans le monde, dont 11,3 millions le font par injection. Pourtant, moins de la moitié des 179 pays où les drogues sont consommées par injection dispose de services essentiels de réduction des risques. La dernière cartographie mondiale de ces services réalisée par Harm Reduction International révèle que les services et les politiques de réduction des risques sont littéralement au point mort depuis 2014. Chaque année, les progrès réalisés dans certains pays s’accompagnent d’une régression dans d’autres. En 2020 :

  • Le nombre de pays mettant en œuvre des programmes d’échange d’aiguilles et de seringues (PES) est resté stable à 86 (l’Algérie, le Bénin, le Nigeria et la Sierra Leone ont ouvert des PES pour la première fois ; tandis qu’en Palestine, en Jordanie, en Mongolie et en Ouganda, les PES ont cessé de fonctionner pour diverses raisons).
  • Le nombre de pays où le traitement par agonistes opioïdes (TAO) est disponible a diminué de deux, passant à 84.
  • La distribution de naloxone (un médicament permettant de traiter les surdoses) d’usager à usager, n’est disponible que dans 15 pays.

Même lorsque des interventions de réduction des risques sont disponibles, la couverture est souvent insuffisante et il existe divers obstacles à l’accès aux services ou des problèmes de qualité des services. Le problème concerne particulièrement les femmes et les personnes non binaires utilisatrices de drogues ; les Noirs, Latinos et personnes autochtones qui sont en outre confrontés au racisme des services de répression ainsi qu’à des obstacles structurels dans l’accès aux services ; et, enfin, les personnes sans abri. La stigmatisation, la discrimination et la criminalisation forcent des millions de personnes à dissimuler leur consommation de drogue, les poussant dans des espaces où les risques associés sont accrus, plutôt que réduits.

Dans le contexte mondial unique et difficile dans lequel a lieu la Journée mondiale du SIDA, on observe trois éléments notables et interconnectés qui ont un impact sur le développement des personnes, des communautés et des organisations :

1) Financement insuffisant des services de santé essentiels pour les personnes qui consomment des drogues

Chaque année dans le monde, 100 milliards de dollars sont consacrés à la lutte contre les drogues, tandis que 188 millions de dollars seulement sont consacrés à la réduction des risques. Cela signifie que nous dépensons plus de 500 fois plus pour des mesures punitives contre l’usage de drogue qu’en faveur des services vitaux qui sont destinés à ceux qui les utilisent. À la fin de l’année 2020, il nous manquera près de 90 % des 1,5 milliard de dollars annuels que l’on estime nécessaires pour bâtir une réponse adéquate en matière de réduction des risques.

 

Les donateurs habituels, que ce soit pour le VIH, les politiques en matière de drogues ou la réduction des risques, ont dû faire face à de nombreux problèmes liés à la pandémie et les fonds sont désormais éparpillés entre différentes priorités. A l’avenir, il faudra continuer de plaider en faveur du financement des services de santé destinés aux personnes les plus vulnérables qui font usage de drogues, tant au plan national qu’au plan international.

2) Les efforts visant à donner priorité à la santé plutôt qu’à la justice pénale ont été limités

Les établissements de détention sont des environnements à haut risque pour la propagation de maladies infectieuses, notamment le VIH et le COVID-19. La pandémie a poussé les gouvernements et les administrations pénitentiaires du monde entier à prendre des mesures exceptionnelles pour décongestionner les prisons.

Malgré un regain d’énergie autour de la réduction de la population carcérale dans le cadre de COVID-19, nous avons constaté qu’un quart des 109 pays qui ont décidé de mettre en œuvre des mesures de décongestion d’urgence excluaient explicitement les personnes détenues pour certaines infractions liées à la drogue, quels que soient par ailleurs leur éligibilité aux critères de vulnérabilité, de sexe, de séropositivité ou d’état de santé.

3) Leadership communautaire transformateur par des réseaux de personnes utilisatrices de drogues

Bien sûr nous avons pleinement conscience de l’étendue des conséquences de la pandémie de COVID-19 pour les personnes qui consomment des drogues et pour les services de réduction des risques partout dans le monde. Malgré tout, nos collectes de données et nos recherches montrent clairement que le leadership communautaire a eu un effet transformateur tout au long de la pandémie.  Ces réseaux ont apporté des solutions innovantes aux problèmes et ont communiqué de manière à réduire l’exposition au COVID, alors que tous les autres se demandaient encore comment utiliser Zoom. Les réseaux international et européen des personnes utilisatrices de drogues (INPUD et EuroNPUD) ont été les premiers à élaborer des lignes directrices pour les personnes qui consomment des drogues – désormais disponibles en 20 langues – et à publier des conseils de réduction des risques pour aider les gens à éviter d’attraper le virus lorsqu’ils consomment des drogues.

 

La pandémie a créé une nouvelle dynamique en faveur des interventions sanitaires qui misent sur la dignité et l’implication de tous et de toutes.  La réponse apportée face au VIH a toujours été fondée sur le leadership communautaire et l’accès aux services de santé ; pourtant jamais auparavant ces questions n’avaient occupé une place aussi importante dans l’agenda mondial que cette année 2020. Notre journée annuelle d’unité et d’action contre le sida a désormais encore plus d’urgence et de sens.


A propos de Harm Reduction International

HRI – Harm Reduction International est une ONG leader qui se consacre à la réduction de conséquences négatives de la consommation de drogues et des politiques en matière de drogues aux plans sanitaire, social et légal. Nous défendons les droits des personnes qui utilisent des drogues et ceux de leurs communautés via des activités de recherche et de plaidoyer, afin d’aider à construire un monde dans lequel les politiques et les lois en matière de drogues contribuent à des sociétés plus saines et plus sûres.