Rapport mondial sur les drogues 2022

Le rapport mondial de l’UNODC sur les drogues présente les tendances actuelles des marchés mondiaux des drogues tout en offrant de nouvelles perspectives

Rapport mondial sur les drogues

Comme chaque année, l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) a publié son Rapport mondial sur les drogues, un document impressionnant qui analyse de manière très détaillée les évolutions et les tendances du marché mondial des drogues – image : UNODC, tous droits réservés

La rédaction – Composé de cinq cahiers distincts, le rapport mondial sur les drogues 2022 fournit une analyse approfondie des marchés mondiaux des drogues et examine pour la première fois en autant de détail le lien entre les drogues et l’environnement dans le contexte plus large des objectifs de développement durable, du changement climatique et de la durabilité environnementale.

Le rapport de l’UNODC vise non seulement à favoriser une plus grande coopération internationale pour contrer l’impact du problème mondial des drogues sur la santé, la gouvernance et la sécurité, mais aussi à aider les États membres à anticiper et à faire face aux menaces engendrées par les marchés illicites et à en atténuer les conséquences.

Dianova publiera jusqu’au mois d’octobre prochain une série d’articles consacrés à quelques-uns des thèmes et des enseignements principaux du rapport mondial sur les drogues 2022 dont les conséquences des drogues sur l’environnement et la façon dont les marchés illicites prospèrent lors des situations de conflit. Enfin, nous proposerons une analyse dédiée à un aspect qui n’est pas abordé dans le rapport: les violations des droits humains résultant des politiques répressives en matière de drogues, en contraste frappant avec la récente déclaration de plusieurs experts en droits de l’homme des Nations Unies consacrée à ce thème.

Quelques-uns des thèmes du rapport

 

Note: les liens suivants renvoient à l’intérieur du présent article, vers les sujets mentionnés. Pour plus de détails, télécharger le rapport mondial sur les drogues 2022 de l’UNODC (anglais)

Tendances actuelles

En 2020, on estime que 284 millions de personnes de 15 à 64 ans ont consommé une drogue au cours des 12 derniers mois (5.6 pour cent du groupe d’âge), soit une augmentation de 26% par rapport à 2010, attribuée en partie à l’augmentation de la population mondiale. Le rapport insiste également sur l’augmentation dramatique des décès directement ou indirectement liés aux drogues, avec un nombre de morts estimé à 494.000 pour la seule année 2019, ainsi qu’une augmentation générale de 17.5 pour cent entre 2009 et 2019.

Nombre d'usagers de drogues dans le monde

Estimations mondiales du nombre d’usagers de drogues en millions – Image: World Drug Report 2022, UNODC, librement traduit de l’anglais, tous droits réservés

Le cannabis reste la drogue la plus consommée dans le monde: en 2020 celle-ci était utilisée par 209 millions de personnes (15-64 ans), soit 4% de la population mondiale de ce groupe d’âge. Il faut noter que la prévalence de l’usage durant l’année écoulée a augmenté de 8 pour cent depuis 2010, tandis que le nombre des usagers a augmenté de 23 pour cent depuis cette date, en partie en raison de l’augmentation de la population.

L’usage de stimulants de type amphétamine concernait 34 millions de personnes en 2020 (15-64 ans), soit 0.7 pour cent de la population mondiale. L’estimation mondiale de l’usage est similaire à ce qu’elle était en 2010 (33 millions), pourtant ces chiffres sont sans doute sous-évalués en raison d’un manque de données issus de différents pays d’Asie dans lesquels la consommation est importante, et ce alors même que les chiffres des saisies suggèrent une expansion de l’usage dans la dernière décennie.

La pandémie de COVID-19 semble avoir mis un coup de frein temporaire à l’augmentation de la consommation de drogues de type cocaïne et ecstasy, semble-t-il en raison de la fermeture obligatoire des lieux de divertissement et de réception du public.

Malgré cette pause en 2020, différents indicateurs montrent que la consommation de cocaïne a repris en 2021, avec une augmentation qui s’inscrit dans la durée. En 2020, environ 21.5 millions de personnes ont fait usage de cette drogue au moins une fois au cours de l’année écoulée. Quant à la production mondiale de cocaïne, elle a atteint un nouveau record en 2020 avec 1.982 tonnes de cocaïne pure, soit une augmentation de 11% par rapport à l’année précédente.

Chiffres mondiaux cocaïne

Cultures, production, saisies et nombre d’usagers de cocaïne dans le monde – Image: World Drug Report 2022, UNODC, librement traduit de l’anglais, tous droits réservés

Enfin, le rapport note que malgré les avantages indéniables liés à l’utilisation d’Internet à la fois pour les trafiquants et pour les consommateurs (anonymat et risques de détection moindres), cette technologie n’a pas pour autant radicalement modifié les chaînes d’approvisionnement de drogues illicites, du moins pour l’instant. A l’heure actuelle, les plateformes en ligne ne prennent qu’une portion modeste du marché mondial des drogues.

Ecart entre les sexes et impact de la pandémie

L’usage de drogues est inégalement distribué dans la population, mais outre les différences régionales et nationales, les facteurs principaux liés à ces différences sont le sexe et l’âge. De fait, si les drogues sont consommées majoritairement par les hommes, les femmes représentent malgré tout plus de 40% des personnes qui font usage de stimulants de type amphétamine et qui font un usage non médical de stimulants et d’opioïdes pharmaceutiques, de sédatifs et de tranquillisants.

 

Dans la plupart des régions, les femmes sont sous-représentées dans les programmes de traitement du fait des nombreuses barrières additionnelles qu’elles doivent surmonter (crainte de sanctions légales, stigmatisation sociale, absence de dispositif d’accueil des enfants, crainte de perdre leur garde, etc.) Ces inégalités en matière de traitement sont un problème mondial et concernent particulièrement les femmes qui font usage de stimulants de type amphétamine: les femmes ne représentent qu’une personne sur cinq suivant un traitement pour les troubles liés à ces substances, alors qu’une personne qui en fait usage sur deux est une femme.

Les femmes réprésentent 1 personne sur 5 en traitement

Bien que preès d’un usager d’amphétamines sur deux soit une femme, moins d’une personne sur cinq en traitement pour amphétamines est une femme – Image: World Drug Report 2022, UNODC, librement traduit de l’anglais, tous droits réservés

Les femmes qui utilisent des drogues sont susceptibles d’être affectées de manière disproportionnée par la pandémie en raison de vulnérabilités spécifiques et de facteurs socioéconomiques, incluant notamment: des revenus et un niveau d’épargne plus bas, même dans les pays à hauts revenus, une moindre sécurité de l’emploi et une surreprésentation dans les secteurs vulnérables aux mesures de confinement.

De plus, les femmes sont responsables de la plupart des familles monoparentales et ont dû faire face aux responsabilités supplémentaires liées aux fermetures des écoles: l’intensification de leur charge de travail domestique non rémunéré est venue s’ajouter à un stress multifactoriel généralisé.

Enfin, il faut souligner que de nombreux pays ont rapporté des pics de violences intrafamiliales durant les périodes de confinement, et tout spécialement en présence d’usage de drogues.

Le marché mondial d’opioïdes

L’usage d’opioïdes demeure à un niveau élevé, avec une légère augmentation depuis 2017. Pour l’année 2020, on estime que 61.3 millions de personnes dans le monde ont utilisé des opioïdes durant l’année écoulée. Ce chiffre inclut les personnes qui utilisent des opiacés (héroïne et opium principalement) et celles qui utilisent des médicaments opioïdes à des fins non médicales.

La disponibilité des analgésiques opioïdes à des fins médicales a plus que doublé entre 2000 et 2010 avant de diminuer de 15% entre 2012 et 2019. Cette diminution est surtout liée au durcissement des politiques de prescription et de surveillance par les par les agences gouvernementales américaines.

Pour autant, la disponibilité de ces analgésiques demeure particulièrement inégale: les plus grandes quantités sont concentrées en Amérique du Nord et, dans une moindre mesure, en Europe Centrale et de l’Ouest, Australie et Nouvelle Zélande. Les pays à moyens et bas revenus utilisent à peine 7 pour cent de ces analgésiques opioïdes, alors même qu’ils représentent 84 pour cent de la population mondiale.

Disponibilité des opioïdes à usage médical

L’Amérique du Nord dispose de 7 500 fois plus de doses d’analgésiques opioïdes que l’Afrique Centrale – Image: World Drug Report 2022, UNODC, librement traduit de l’anglais, tous droits réservés

L’impact de la légalisation du cannabis

En janvier 2022, les dispositions légales autorisant la production et la vente de cannabis à des fins non médicales ont été approuvées au Canada, en Uruguay et dans 21 juridictions des Etats-Unis (18 états, 2 territoires et le District de Columbia). Le Canada et la plupart des juridictions américaines concernées autorisent la production et la vente par des entités à vocation commerciale, tandis que le marché de détail est encore partiellement régulé et contrôlé par l’État.

Ces pays et juridictions ont pris la décision de légaliser la production et la vente de cannabis pour répondre à un certain nombre d’objectifs souhaitables, tels que: mettre en place un marché régulé pour assurer la qualité du produit et prévenir l’usage de substances dangereuses dans la phase de production; empêcher les groupes criminalisés de générer des profits issus du commerce illégal; modifier les réponses de justice criminelle qui ont entraîné dans certains pays (États-Unis notamment) l’arrestation de dizaines de milliers de personnes souvent issues des minorités ethniques; réduire les coûts liés à l’application des lois; générer des revenus en partie reversés à la prévention, etc.

Comme le note le rapport: toute tentative pour évaluer l’impact de la légalisation du cannabis doit aussi comprendre une analyse approfondie de l’atteinte ou non de plusieurs de ces objectifs, ce qui prendra nécessairement plusieurs années.

De plus, la légalisation peut avoir un impact favorable dans certains domaines et défavorables dans d’autres. Etant donné la polarisation des opinions en la matière, les tenants des différentes parties se montrent souvent sélectif dans le choix des indicateurs dans le but de se concentrer uniquement sur les résultats qui corroborent leurs conclusions préétablies.

Les premières indications suggèrent malgré tout que la légalisation du cannabis a eu une incidence considérable sur la santé et la sécurité publiques, la dynamique des marchés, les intérêts commerciaux et les réponses de justice pénale:

  • La légalisation du cannabis semble avoir accéléré l’augmentation de l’usage quotidien déclaré de cette drogue, avec une augmentation prononcée de l’usage fréquent de produits à haute teneur en THC. En revanche, la prévalence de l’usage de cannabis chez les ados n’a pas beaucoup évolué.
  • La proportion de personnes souffrant de troubles psychiatriques et de suicides associés à l’usage régulier de cannabis a augmenté, tout comme le nombre d’hospitalisations dues à des troubles liés à son usage.
  • Les produits à base de cannabis se sont diversifiés et les niveaux moyens de THC dans les différents produits ont continué à augmenter, atteignant 60 % sur certains marchés.
  • L’influence et les investissements croissants des grandes entreprises, notamment celles des secteurs de l’alcool et du tabac, sont évidents dans l’industrie légale du cannabis. Les recettes fiscales provenant du marché légal ont continué d’augmenter. Si le marché illégal du cannabis se réduit dans certains pays, il continue d’exister parallèlement aux marchés légaux.
  • La légalisation a entraîné une réduction import importante du nombre et du taux d’arrestation de personnes pour des infractions liées au cannabis, en dehors des arrestations de mineurs pour qui la possession demeure une infraction.

Pour remédier à cet impact, le rapport suggère de continuer à surveiller les incidences de la légalisation du cannabis dans ces domaines et d’investir dans la recherche sur les effets du cannabis, notamment à haute teneur en THC, pour la santé, en particulier des jeunes, des femmes et des femmes enceintes.

Selon le rapport, il faudrait également s’attaquer aux perceptions erronées des risques liés à l’usage du cannabis en faisant passer des messages axés sur la prévention fondés sur des données probantes, ciblant en particulier les jeunes.

 

Il faut tirer les enseignements de notre expérience des industries du tabac, de l’alcool et des aliments ultra-transformés, ainsi que de l’industrie pharmaceutique, et des cas documentés où la poursuite d’intérêts commerciaux a ciblé des groupes vulnérables ou défavorisés, allant à l’inverse des préoccupations de santé publique.