Pour en finir avec la « guerre contre les drogues »

Position historique du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme sur les défis liés aux politiques des drogues en termes de droits humains

Conseil des droits de l'homme

Publié le 20 septembre, ce rapport historique marquera un tournant dans les débats de l’ONU sur la politique en matière de droguesImage : plafond de la « Salle des droits de l’homme et de l’alliance des civilisations » (ONU à Genève) de Miquel Barceló, photo de Maina Kiai, licence CC BY 2.0

Contexte

En réponse à la résolution du Conseil des droits de l’homme (CDH) sur l’impact des politiques en matière de drogues sur les droits humains adoptée en avril dernier, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) s’est vu confier le mandat de préparer un rapport en consultation avec les États, les organes compétents des Nations unies et la société civile, afin qu’il soit soumis à la 54ème session du CDH (Il faut noter que Dianova a participé à cette consultation et que ses recommandations sont citées dans le rapport).

Le rapport du HCDH, intitulé « Enjeux en matière de droits de l’homme de la mobilisation et de la lutte contre le problème mondial de la drogue sous tous ses aspects » a été présenté le 20 septembre lors de la 54ème session du CDH. Les représentantes de Dianova étaient présentes.

Le rapport de 22 pages, offre une vue d’ensemble du cadre légal et politique international, une description des principaux défis identifiés par les experts et dans les documents de l’ONU, et met en évidence l’évolution récente des débats sur les politiques des drogues. Il est conclu par une série de recommandations concrètes qui constituent un engagement clair pour un nouveau modèle favorisant une perspective fondée sur les droits humains et la santé publique.

Une table ronde devrait être organisée avant la 55e réunion intersessionnelle du CDH. En outre, ce rapport devrait être l’une des contributions essentielles lors du processus d’examen de la mise en œuvre de la déclaration ministérielle prévue en mars 2024.

Principaux défis en matière de droits humains

Le rapport résume les différents points et recommandations relatives aux politiques en matière de drogues émises par les agences et documents officiels de l’ONU, incluant les éléments  suivants :

  • Accès inadéquat et inégal aux traitements et services de réduction des risques
  • Guerre contre les drogues et militarisation du contrôle des drogues
  • Recours excessif à l’incarcération et surpopulation carcérale
  • Recours à la peine de mort pour les infractions liées aux drogues
  • Impact disproportionné sur certains groups : enfants et jeunes d’origine africaine, populations indigènes, femmes
  • Nouveaux enjeux et défis persistants : situations de crise et environnement sain.
Militants pour la régulation du cannabis

Les lois excessivement punitives concernant les infractions liées à la drogue ont eu de nombreuses conséquences négatives, notamment la surcharge des systèmes de justice pénale et la surpopulation carcérale – Image : New York NY USA – 4 mai 2013 Militants pour la régulation du cannabis, photo : Shutterstock

Sur la base de ce qui précède, le HCDH propose une série de 22 recommandations qui marquent un engagement clair à mettre fin à la « guerre contre les drogues » qui sévit aujourd’hui encore et ne fait que contribuer aux violations des droits humains et à une augmentation de la discrimination. Les recommandations misent sur une perspective fondée sur les droits humains et la santé. En voici quelques-unes de plus pertinentes, telles qu’elles apparaissent dans le rapport:

  • Adopter des mesures de substitution à la criminalisation, à la « tolérance zéro » et à l’élimination des drogues, en envisageant de dépénaliser la consommation, et contrôler les marchés des drogues illicites grâce à une réglementation responsable, dans le but d’éliminer les profits tirés du trafic et de la criminalité et obtenus par la violence
  • Prendre en compte les besoins particuliers des femmes poursuivies ou détenues pour avoir commis des infractions liées à la drogue et les risques éventuels auxquels elles peuvent être exposées, conformément aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes ;
  • Adopter des politiques en matière de drogue qui tiennent compte des questions de genre et répondent aux besoins particuliers des femmes, et abroger les dispositions législatives qui prévoient le retrait de la garde parentale aux consommateurs de drogues et sanctionnent les femmes qui consomment de la drogue durant leur grossesse ;
  • Associer réellement les organisations de la société civile, les consommateurs de drogues, les communautés touchées et les jeunes à la conception, l’application et l’évaluation des politiques en matière de drogue, afin que leurs connaissances et leur expérience soient prises en compte
  • Introduire et financer des services de réduction des risques, et soutenir les activités de sensibilisation et les services de réduction des risques réalisés par des organisations communautaires ;
  • S’attaquer aux facteurs socioéconomiques sous-jacents qui augmentent le risque de consommation de drogues ou qui conduisent à s’engager dans le commerce de la drogue, en luttant contre les inégalités sociales, en promouvant la justice sociale et en faisant progresser les droits de l’homme ;
  • Veiller à ce que les mesures de répression prises en application des politiques de contrôle des drogues soient pleinement compatibles avec les obligations des États en matière de droits de l’homme, et veiller à ce que la répression des infractions liées à la drogue incombe principalement à des forces civiles de maintien de l’ordre, dûment formées et équipées, pour permettre un usage différencié de la force, conforme aux normes et aux règles internationales
  • Abolir la peine de mort partout dans le monde, pour tous les crimes, y compris pour les infractions liées à la drogue ;
  • Inclure des informations relatives aux politiques en matière de drogue dans les rapports destinés aux mécanismes relatifs aux droits de l’homme et dans les rapports sur la réalisation des objectifs de développement durable, appliquer les recommandations de ces mécanismes et veiller à la prise en compte systématique de la question des droits de l’homme dans les travaux des mécanismes internationaux de contrôle des drogues

 

Le point de vue de Dianova

Dianova se félicite que les organismes de défense des droits humains abordent la question des politiques de drogues sous l’angle de ces droits, et que des actions concrètes soient mises en place. C’est aussi une période décisive en termes de plaidoyer, du fait de la révision prochaine des engagements inclus dans la déclaration ministérielle.

Nous saluons l’engagement clair de placer au premier plan le respect des droits humains et de tourner le dos aux politiques punitives en matière de contrôle des drogues. Il sera intéressant de voir comment les recommandations seront reçues au niveau des États membres et d’autres entités des Nations unies telles que l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime et la Commission des stupéfiants.

La reconnaissance du manque de traitements et de services de réduction des risques comme un défi majeur pour la jouissance des droits humains, et l’accent mis sur la nécessité de garantir un traitement volontaire, des systèmes de responsabilité et un soutien aux services de réinsertion constituent un grand pas en avant. Nous regrettons toutefois que les recommandations ne mentionnent pas explicitement la nécessité de renforcer les systèmes de traitement.

Nous pensons que certaines recommandations devraient être mieux étayées au début du rapport (par exemple, la réglementation des marchés des drogues, le retrait de la garde des enfants, etc.)

En ce qui concerne la recommandation concernant la régulation des marchés de la drogue, il s’agit d’une question qui n’est pas expressément développée dans le rapport, et il sera intéressant de voir comment elle sera intégrée et expliquée dans les discussions ultérieures. En tout état de cause, il convient de noter que le HCDH suggère d’examiner les possibilités de réglementation, et non la réglementation en tant que telle. Qu’on le veuille ou non, c’est une réalité dont il est fait l’expérience dans différentes régions du monde et dont les Nations Unies devraient pouvoir débattre librement, sans dogme ni tabou. C’est pourquoi, Dianova se réjouit de voir s’ouvrir ce débat, car il permettra d’avancer dans une approche globale et surtout plus humaine des politiques en matière de drogues.

Nous espérons que la publication de ce rapport et les débats qui s’ensuivront conduiront à une discussion honnête et ouverte sur la manière de procéder pour protéger les droits des personnes et les placer au centre des politiques. Il est temps d’abandonner les approches nuisibles et inefficaces.