“Ici, tu te réveilles, tu ouvres ton horizon mental, tu te rends compte de ce dont tu es capable, et sans avoir à prendre des drogues »

« Maintenant, quand je me regarde dans la glace, je me reconnais enfin » – Photo by Tiago Bandeira on Unsplash
Aurora[1]est une jeune résidente du centre pour mineurs de Dianova Espagne (Zandueta, région de Navarre). Elle a connu la drogue dès l’âge de onze ans. Comme beaucoup, elle a commencé par la cigarette, avant de passer au cannabis puis à des drogues plus dangereuses. Elle a continué jusqu’à en perdre ses relations, ses proches. Jusqu’à se perdre elle-même. Aujourd’hui, grâce au programme de Dianova, elle pose un regard lucide sur sa vie tout en imaginant un avenir meilleur.
Quand as-tu commencé les drogues?
La première fois que j’ai fumé une cigarette, c’était à 11 ans, je ne savais pas comment faire et je n’avalais même pas la fumée. L’été de mes 13 ans, j’ai commencé à fumer du shit et ça m’a plu, je trouvais ça grave cool. Après ça a été le tour des cachetons. A 14 ans, mon amie et moi, on pouvait tout ce qui nous intéressait grâce aux réseaux sociaux.
On est tombé sur un gars qui était dans ce genre de bizness. On s’est rencontré en boîte et pour 15 euros on a eu deux cachetons. A ce moment-là, j’avais déjà menti à ma mère en lui demandant de la thune pour des leggings censément.
Evidemment, je suis rentrée sans, et m’a mère m’a demandée ce que j’avais fait de l’argent. J’ai répondu que j’avais acheté des jeux. Ce jour-là, j’ai pris un demi cachet d’ecstasy avec du LSD. J’avais jamais essayé ces trucs avant. Ça a duré entre 4 et 6 heures, plutôt intenses, à bouger tout le temps. J’étais euphorique.
Après ça, je me suis mise à fumer des bédos tous les jours. Et les autres drogues ne me faisaient plus peur comme avant. Je me suis mise à la coke par un copain qui en prenait. Il m’en a proposé. J’ai dit oui et ça m’a plu tout de suite.
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Centre éducatif et thérapeutique pour mineurs de Zandueta (Navarre, Espagne) – Photo: Dianova España, licence: CC
Est-ce que tu prenais des risques?
Enormément. Quand je sortais en boîte, c’était toujours plein à craquer. Quelqu’un aurait pu mettre un truc dans mon verre. J’avais aucune conscience de ce que je faisais, aucune limite.
Je continuais à me droguer toujours plus, même quand j’étais total défoncée. Jusqu’à perdre complètement le contrôle. J’ai pris des risques incroyables mais j’en avais rien à faire. Je faisais n’importe quoi avec n’importe qui. A ce moment-là, tu es complètement larguée et tu t’imagines que tu peux faire ce que tu veux.
Quand tu es foncedé, tu fais des trucs juste parce que tu en as envie. C’est comme si tu entrais dans une prison mentale. Et même si tu sais que tu t’es éclatée, tu te sens mal. Tu te mets à regretter les trucs que tu fais quand tu es hors contrôle. Quand tu es normale, tu te souviens et tu as la honte. Tu regrettes et ça te fait grave bader. Si tu es un peu faible dans ta tête ou si tu as tendance à la déprime, ça peut avoir un impact sur ta santé mentale.
Ça se passait comment avec tes proches?
Tu finis par t’éloigner de ta famille, c’est un autre problème. La relation devient de pire en pire. Tu fais du mal aux gens qui t’aiment. A l’époque, je rentrais à la maison dans un état pas possible, complètement débraillée, les cheveux en l’air. On aurait dit un zombie. Mes parents le voyaient et il y avait toujours des scènes. Je criais, je jetais des trucs par terre, je cassais tout. J’avais même cassé la porte de ma chambre. Mes parents avaient enlevé toutes les poignées de porte parce que je m’automutilais.
Physiquement, la drogue m’a foutu en l’air. Je me reconnaissais même plus dans la glace. Je me suis complètement perdue. Je me foutais de tout. Je faisais plus du tout attention à moi. Et plus je me voyais aller mal, plus je me rejetais moi-même. La drogue, ça t’épuise totalement. Tu marches à l’adrénaline, mais après c’est tout ton corps qui a mal.
Toutes les bonnes habitudes, les routines, tu les perds. La façon de manger, le sommeil, l’école. Tu arrêtes d’aller à l’école. Tu abandonnes tout. C’est l’échec dans toute sa splendeur. Tu t’éloignes aussi de tes amis. Tout ce qui te reste, c’est des amis de drogues. Quant à tes vrais amis, d’abord ils te disent d’arrêter la came, mais au final ils en ont marre et ils s’en vont. Moi, tout ce que j’avais dans la tête, c’était la came, la came, la came. Ils finissent par s’éloigner.
Comment tu te sens maintenant, à Zandueta?
Au début, on est grave mal à cause du manque, mais petit à petit ça passe. Maintenant je me sens bien, je sens que je suis redevenue moi-même. J’apprends à me connaître et à tirer le meilleur de moi-même. Le fait de commencer la journée en étant moi-même et la terminer en étant moi-même, sans avoir besoin du chichon, c’est vraiment enrichissant.
Je suis capable d’être active et positive. Quand il n’y a plus la drogue, tu arrives enfin à sortir d’un cercle vicieux de dépression, avec constamment des idées d’automutilation et des pensées négatives sur toi et sur ta vie.
Tu peux passer une mauvaise journée, une mauvaise semaine ou un mauvais mois pour X raisons, comme n’importe qui d’autre, mais ça ne devient pas toute ta vie. Tu peux même te sentir bien super longtemps. Tu te réveilles un matin et tu es contente, sans raison. Tu passes la journée contente et le soir tu vas te coucher et tu es toujours contente. Et tu te réveilles encore et tu sens que tu as bien dormi, que tu t’es reposée.
J’ai réussi à arrêter de consommer parce que je suis sortie de mon cadre habituel. Le fait d’aller à Zandueta, m’a beaucoup aidée. Je me sens super fière parce que maintenant, je sais qui je suis sans la drogue. Je suis heureuse de pouvoir être avec mes proches sans avoir à consommer, heureuse de pouvoir dormir dans mon lit en sachant que j’ai passé la journée sans drogues.
Je savais que je devais remettre ma vie sur de bons rails et me débarrasser de mes addictions et j’ai pu le faire ici, à Zandueta. Je me suis éloignée non seulement des drogues, mais aussi de mes amis toxiques. Aucun d’eux n’a jamais pris de mes nouvelles et j’ai perdu contact.
Je suis heureuse de pouvoir enfin sortir de ma prison mentale. Je me sens libre. C’est moi qui dirige ma vie et non pas la drogue. Je me sens super fière. Je peux enfin vivre sans consommer et c’est moi qui décide et pas les drogues.

Une journée de ski dans les Pyrénées pour les mineurs du centre de Zandueta – photo: Dianova España, licence: CC
Au plan physique et mental, c’est quoi qui a changé pour toi ?
Quand tu arrêtes de consommer, tu as tendance à grossir. Ici, au moins, on n’a pas accès aux cuisines et c’est un avantage car on ne peut pas se servir quand on en a envie. On peut aussi aller à la salle de sport, la piscine, marcher dans la montagne. Au bout du compte, on arrive à gérer l’anxiété par des habitudes saines et du sport, au lieu de bouffer.
Ensuite tu te débarrasses de tes cernes. Avant, j’avais carrément l’air d’un panda, mais maintenant je n’en ai presque plus. Tu souris plus aussi, ton visage devient plus lumineux. Maintenant, quand je me regarde dans la glace, je me reconnais enfin.
Au niveau psychologique, quand je suis arrivée ici, j’étais léthargique total, toute la journée. Je ne voulais rien savoir de personne et tout ce que je faisais c’est regarder dans le vague sans penser à rien. Ici, tu te réveilles, tu ouvres ton horizon mental, tu te rends compte que tu es capable de faire des choses sans avoir à consommer.
Toutes les activités du centre, la classe, les loisirs etc., ça t’aide à te rendre compte de ce que tu es capable de faire, sans les drogues. Maintenant, j’ai retrouvé l’envie de rire. Le programme t’aide aussi à travailler sur tes relations avec ta famille. Je me rends compte maintenant que ma famille c’est important pour moi. C’est un soutien dans mon programme. J’ai besoin de les savoir auprès de moi. J’ai peut-être perdu des amis, mais j’aurai toujours ma famille.
Le centre m’aide aussi dans mes projets pour l’avenir, pour avoir un diplôme, grâce à des formations à tous les niveaux.
Je me sens bien, et je suis contente du travail que je fais sur moi. Je suis très reconnaissante envers les éducateurs, je me sens bien, entourée, écoutée, soutenue et accompagnée. L’équipe fait tout ce qu’elle peut pour nous aider nous les ados. On voit qu’ils aiment ce qu’ils font et ça me donne de l’espoir.
[1] Nom fictif