Interview d’Eugène Etse, Président du GRADH

Eugène Etse Yawo est togolais et travaille comme responsable de la mobilisation des ressources et du marketing pour la Croix-Rouge togolaise

Eugène Etse, président du GRADH

Le GRADH s’attache à changer le comportement des gens afin d’éduquer, de sensibiliser, de prévenir les maladies transmissibles et de promouvoir les bonnes pratiques d’hygiène permettant une amélioration durable de la santé des communautés – Photo: Daniel Urrutia, tous droits réservés

Eugène est aussi président du Groupe de Réflexion des Amis pour le Développement de l’Humain (GRADH), une association qui œuvre à transmettre des  messages de santé auprès de la population togolaise par le biais de performances théâtrales. Eugène termine actuellement une thèse de doctorat en gestion des ressources humaines. Nous l’avons rencontré lors des rencontres du réseau Dianova 2019, à Castelldefels (Espagne).

Peux-tu nous en dire plus sur le GRADH ?

Il s’agit d’une association créée au Togo en 2004 qui intervient dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la culture. Le GRADH est composé de plusieurs troupes de théâtre, au sein du Togo et à l’extérieur. Sa stratégie est d’aller à la rencontre de la population et de communiquer avec elle pour parvenir à un changement de comportement. Nous nous servons du théâtre, des contes et des chansons pour faire passer le message et nous allons à la rencontre de la population dans les rues, les écoles, les églises, les carrefours, etc. Nous présentons des sketchs qui généralement se terminent par une appréciation du public qui dispose d’un droit de regard, c’est-à-dire qu’il peut intervenir pour corriger ce qui a été présenté et par exemple proposer une fin heureuse à la situation.

Tous les ans, vers la fin novembre, le GRADH organise le festival FESTHES, (festival de théâtre pour l’éducation et la santé) qui regroupe douze pays dont la France et l’Allemagne, et, en Afrique, des pays tels que la Côte d’Ivoire, le Mali, le Congo Brazzaville, le Ghana, le Bénin et le Burkina Faso. La force de ce festival c’est que, même s’il ne dispose pas de subventions, les troupes de théâtre qui s’y rendent acceptent de prendre en charge leur déplacement. Une troupe du Bénin participant au festival va par exemple assumer ses frais de déplacement tandis que les frais d’hébergement et de restauration sont pris en charge par les organisateurs. Ce type d’arrangement nous a permis jusqu’à présent d’honorer tous les ans notre engagement et de faire de ce festival une rencontre d’échanges, de renforcement des capacités et de communication avec la population.

Peux-tu nous parler un peu des spectacles, est-ce que l’improvisation y joue un rôle, et quel est justement celui du public ?

Les sketchs ont une durée de quinze, vingt, voire trente minutes tout au plus, et tout est écrit et préparé à l’avance. Mais, une fois la représentation terminée, le public peut s’il le souhaite demander à une personne de prendre la place de l’un des acteurs ou actrices et rejouer la scène jusqu’à ce que celle-ci trouve un écho favorable. L’un de nos sketchs par exemple met en scène un enfant de douze ans qui se voit proposer l’utilisation de préservatifs. De son côté, le public estime, lui,  que douze ans c’est beaucoup trop tôt pour avoir des relations sexuelles. Un volontaire va donc se proposer et, après s’être mis d’accord avec les « vrais » acteurs et actrices, ils vont rejouer la scène qui s’orientera désormais sur la volonté de demeurer abstinent. De cette façon, la scène se termine sur une note satisfaisante pour le public.

 rencontres du réseau Dianova

Les rencontres du réseau Dianova 2019, avec la participation du GRADH – Photo: Daniel Urrutia, tous droits réservés

Est-ce que tu as l’impression de devoir aller à l’encontre des coutumes et des croyances quelquefois ? Penses-tu avoir un impact face au poids des traditions ?

Certaines traditions ou coutumes peuvent être corrigées, même si cela prend du temps. Pour d’autres, c’est beaucoup  plus difficile. Au Togo, l’utilisation du préservatif, par exemple, a été bien intégrée par la communauté. En revanche, les réticences de l’église catholique vis-à-vis du préservatif sont toujours bien réelles, c’est pourquoi nous évitons d’aborder ce thème lors de nos représentations dans les églises. En dehors de l’église, nous le faisons sans problème car il s’agit d’une pratique désormais bien acceptée, y compris chez les catholiques, mais les prêtres ne sont pas prêts à entendre vanter les mérites du préservatif dans leur église.

Autre problème, celui de l’eau de boisson : une partie de la population continue de boire l’eau des rivières. Pourtant, à cause de l’augmentation de la population et des souillures que cela cause, c’est devenu une pratique dangereuse.  Ce que nous faisons dans nos représentations, c’est montrer aux gens que l’eau de la rivière contient des microbes qui ne se voient pas à l’œil nu et qu’ils doivent donc se tourner vers des eaux de consommation saine, comme l’eau des forages. Le changement de comportement ne se fait pas immédiatement ; il faut en parler, revenir sur la question, faire plusieurs représentations, mais petit à petit les gens le comprennent.

Où en est le Togo en matière d’infrastructures d’assainissement et de prise de conscience du risque lié à la défécation en plein air ?

Beaucoup reste encore à faire. Le GRADH a entrepris une campagne au long cours contre la défécation à l’air libre. Nos représentations visent à faire prendre conscience aux gens des risques qu’ils encourent à poursuivre cette pratique. Nous leur montrons que même si une famille dispose de latrines privées, avec un équipement sanitaire adéquat, elle n’est pas à l’abri d’une contamination éventuelle par le simple fait que les familles voisines ne disposent pas du même équipement. Les mouches se posent sur les déjections et viennent souiller la nourriture sur les étals des marchés et même sur la table des familles pourtant bien équipées au plan sanitaire. Un seul gramme de fèces humaines peut contenir jusqu’à 10 millions de virus, un million de bactéries et un millier de parasites, c’est pourquoi nous amenons les gens à comprendre cette relation et les risques qu’il y a à déféquer en plein air pour l’ensemble de la communauté.

Il est vrai malheureusement que les infrastructures de latrines coûtent cher. Construire une latrine EcoSan revient à 300.000 francs CFA (environ 450 €), ce qui représente une petite fortune pour le Togolais moyen. Ce que nous essayons de faire comprendre, c’est que l’on peut faire des latrines traditionnelles, mais améliorées, en construisant des toilettes simples, avec des planches et une fosse assez profonde, que l’on finit par fermer. Bien sûr cela ne règle pas tout le problème, mais le message prioritaire est passé : on ne peut pas déféquer n’importe où. Après avoir fait comprendre à la population le risque de transmission de maladies, la deuxième étape est d’amener la communauté à prendre elle-même en charge la construction de latrines. A ce titre, je voudrais remercier l’UNICEF pour son engagement et son soutien dans la mise en œuvre du projet Assainissement total piloté par la communauté (ATPC).

Quel est l’avenir de l’action du GRADH ?

Le GRADH intervient en fonction de la politique gouvernementale en matière d’éducation et de santé. Pendant longtemps nous avons agi sur les infections transmises sexuellement (IST) et le sida, par le biais d’une action conjointe avec le gouvernement et d’autres associations. Les résultats ont été satisfaisants : grâce à ces efforts le Togo est passé d’une prévalence des IST de 6.2% à 1.8%. Au plan du paludisme, qui représente la première cause de consultation dans les hôpitaux et les centres de santé du pays, je pense que davantage d’efforts de sensibilisation peuvent être menés afin que cette maladie ne soit plus récurrente au Togo. Il en va de même pour le fléau actuel que représentent les grossesses non désirées en milieu scolaire. Enfin, nous devons agir pour faire face au changement climatique, amener les populations à comprendre la réalité de ce problème et à adopter les bons comportements de préservation de l’environnement. Notre stratégie n’est pas arrêtée ; nous agissons en fonction de nos partenaires financiers et nous apportons nos services là où ils sont nécessaires.