Drogues : où va l’Europe ?

La nouvelle stratégie européenne sur les drogues guidera les politiques communautaires et les stratégies nationales en la matière

EU drugs strategy

La Stratégie 2021-2025 est probablement la stratégie de l’UE la mieux développée. Elle est à la fois équilibrée, globale et reflète adéquatement la cohérence et la manière de travailler de l’UE, en particulier au niveau international – image: Shutterstock, CC

Par Lucía Goberna – Le 18 décembre 2020, le Conseil de l’Union européenne a approuvé la Stratégie européenne sur les drogues 2021-2025 pour les cinq prochaines années. Ce document clé permettra de guider l’action européenne en matière de drogues et le plan d’action qui sera élaboré sur la base de cette stratégie viendra soutenir les stratégies et les plans mis en œuvre dans chaque pays.

En tant que membre du Forum de la société civile sur les drogues de l’UE (CSFD), Dianova a été très impliquée dans le processus complexe d’élaboration et de suivi de la stratégie. Nous estimons qu’il s’agit d’un document à la fois complet et approfondi, visant à renforcer plusieurs aspects essentiels de la problématique.

Les outils : Stratégies et plans d’action

L’Union Européenne n’a pas une compétence exclusive en matière de drogues, même si diverses bases juridiques autorisent son action, notamment dans les domaines de la santé publique, du marché intérieur, de la criminalité organisée et de la coopération judiciaire.

L’un des outils les plus importants est l’élaboration de stratégies et de plans d’action. Cette action coordonnée est cruciale pour la définition des politiques de l’UE. Elle n’impose pas d’obligations légales aux États membres de l’UE, mais promeut un modèle commun permettant de définir les priorités, les objectifs, les actions et les systèmes d’évaluation de l’atteinte des objectifs. La Stratégie en matière de drogues donne le cadre politique général et définit les priorités d’action de l’UE. Ces dernières serviront ensuite de base au plan d’action, à la définition des acteurs impliqués dans sa mise en œuvre ainsi qu’aux indicateurs et systèmes de suivi.

L’Europe : pionnière en matière de drogues

Les États membres et divers pays candidats à l’adhésion à l’UE utilisent ces documents de référence pour élaborer leur propre stratégie nationale. C’est pourquoi la Stratégie et le Plan d’action sont des documents essentiels à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques pour tous les acteurs concernés. Ils sont à la fois une feuille de route et un document de référence pour le travail de sensibilisation.

L’UE a été pionnière dans ce domaine (à la suite de l’Organisation des États américains), puisque le premier « plan européen de lutte contre la drogue » a été élaboré en 1990. Jusqu’à aujourd’hui, le travail de l’Union se fondait sur la Stratégie européenne en matière de drogues 2013-2020 et le Plan d’action sur les drogues 2017-2020.

Un processus d’élaboration complexe

Diverses institutions sont impliquées dans ce processus, dont la Commission européenne, soit l’organe exécutif qui représente les intérêts de l’UE dans son ensemble ; le Parlement européen, l’organe législatif représentant les citoyens ; et le Conseil de l’Union européenne, en particulier le Groupe horizontal « drogue » (GHD), qui représente les États membres. Ce dernier est responsable de l’approbation et de la validation des versions finales de la Stratégie et du Plan d’action. De plus, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies et d’autres agences de l’UE, ainsi que la société civile, sont également impliqués à différents stades du processus.

Implication de la société civile

Dans ce cadre complexe, la société civile s’est organisée autour du Forum de la société civile de l’UE sur les drogues (CSFD). Ce groupe d’experts de la Commission européenne réunit 45 organisations travaillant dans différents domaines et représentant différentes perspectives. Le Forum soutient la formulation et la mise en œuvre de politiques en matière de drogue au niveau européen.

Dianova participe activement au forum depuis 2013. De plus, dans le cadre du processus d’élaboration de la Stratégie (avril-octobre 2020), nous avons coordonné le groupe de travail sur les relations internationales.

Le CSFD a maintenu une communication étroite avec les institutions européennes, tout en participant à l’élaboration de la Stratégie par des contributions écrites et des réunions avec les représentants de la Commission européenne et du GHD. De fait, la version finale de la Stratégie 2021-2025 comprend plusieurs des contributions faites par le CSFD.

Société civile

La participation de la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques en matière de drogue est reconnue comme essentielle – photo: Shutterstock, CC

Lignes principales

  • La stratégie vise à protéger et à améliorer le bien-être de la société et des individus, à sauvegarder et à promouvoir la santé publique, à assurer un niveau élevé de sécurité et de bien-être à la population en général et à développer l’éducation sanitaire. Ses actions se fondent sur la promotion des droits humains et l’approche du développement. L’UE en est l’un des principaux promoteurs au niveau international.
  • Elle adopte une approche empirique, intégrée, équilibrée et multidisciplinaire du phénomène de la drogue aux plans national, international et européen.
  • Elle intègre une perspective sexospécifique et d’équité en matière de santé.
  • Le domaine de la réduction de l’offre a été considérablement renforcé par rapport à la stratégie précédente, compte tenu des enjeux liés aux marchés européens des drogues, caractérisés par une grande disponibilité de divers types de drogues, une augmentation des saisies, un recours croissant à la violence et des profits en augmentation. La stratégie met particulièrement l’accent sur l’amélioration de la sécurité et aborde les questions de prévention et de dissuasion de la criminalité liée aux drogues.
  • En ce qui concerne la réduction de la demande la Stratégie entend la catégoriser selon différents domaines (prévention, traitement et services de soins, réduction des risques et des dommages), ce qui permet de rendre chaque domaine plus visible tout en développant davantage ce point par rapport à la stratégie précédente.
  • En termes de prévention, elle couvre un contenu beaucoup plus large et fait la distinction entre les mesures de prévention universelle, la prévention sélective pour les jeunes et la prévention indiquée.
  • En ce qui concerne la réduction des risques et des dommages, elle souligne la nécessité de mesures et de services plus efficaces, tout en tenant compte des pratiques innovantes dans ce domaine.
  • Elle est cohérente avec le travail de l’Europe au niveau international, en associant la politique en matière de drogues à des éléments clés tels que l’approche des droits humains, le développement et les principales réglementations internationales. Elle établit un lien avec les travaux d’autres agences de l’UE (comme le Service européen pour l’action extérieure) en renforçant leur vision globale.
  • Elle renforce clairement le rôle de la société civile aux plans local, national et international. Elle mentionne spécifiquement le rôle à jouer par le CSFD.
  • Le chapitre sur « garantir l’accès aux services de traitement et de soins et renforcer ces services » est beaucoup plus étendu et renforcé. Entre autres éléments :
    1. Il fait la différence entre les services de conseil professionnels, les traitements psychosociaux, comportementaux et les traitements par médicaments (dont les thérapies individualisées de substitution par opioïdes), les programmes de réadaptation et de rétablissement visant la réinsertion sociale
    2. Il reconnaît et encourage le travail entre pairs comme un élément clé du plan de soins pour les personnes qui consomment des drogues
    3. Il identifie (et propose des solutions pour résoudre) les problèmes liés à l’accès aux services de traitement en fonction des facteurs démographiques, situationnels et personnels. Il entend garantir l’accès aux services sociaux et de santé et assurer un financement suffisant pour les bénéficiaires, tout en tenant compte de la perspective sexospécifique. Il mentionne les services de télémédecine.
    4. Il entend réduire la stigmatisation des personnes souffrant de troubles liés à la consommation de substances et à les impliquer dans le processus d’élaboration des politiques.
    5. Il souligne la nécessité de mettre en place des services de traitement et de soins qui soient sensibles aux besoins des femmes. Il indique vouloir œuvrer à l’identification et à l’élimination des obstacles au traitement des femmes, incluant notamment la violence sexiste, les traumatismes, la stigmatisation, la santé physique et mentale, etc. Il promeut le développement de services exclusivement destinés aux femmes et la nécessité de prendre en considération l’accompagnement de leurs enfants à charge et de travailler avec les services du réseau de soins qui travaillent avec les femmes en situation de vulnérabilité.
    6. Il entend mettre en place des services sensibles à la situation des groupes aux besoins particuliers en matière de soins : les personnes âgées ayant des antécédents de consommation et de dépendance à long terme, les personnes ayant des problèmes de double pathologie, les personnes LGBTI, les personnes ayant une polyconsommation, les parents qui font usage de drogues, les personnes vivant avec un handicap, les personnes issues des minorités ethniques, migrantes ou réfugiées, les demandeurs d’asile, les travailleurs et travailleuses du sexe et les personnes sans-abri.

Un engagement ambitieux pour les cinq prochaines années

La Stratégie 2021-2025 est probablement la stratégie de l’UE la mieux développée. Elle est à la fois équilibrée, globale et reflète adéquatement la cohérence et la manière de travailler de l’UE, en particulier au niveau international. Elle permet à la société civile de s’impliquer dans différents processus et reconnaît sa contribution. Elle permet de rendre plus visibles les différents domaines associés à la réduction de la demande, et élargit considérablement les aspects de la prévention et du traitement.