L’Amérique latine en état d’alerte face à la crise des opiacés

La région continue de lutter contre la cocaïne, la marijuana et les amphétamines mais garde un œil sur l’épidémie américaine d’opiacés et ses répercussions

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Par Ignacio Torres – S’il y a bien des médicaments efficaces pour soulager les douleurs chroniques ou intenses, en particulier chez les patients à un stade avancé, ce sont les opiacés. Toutefois, leur mauvaise utilisation, notamment quand on les consomme à des doses plus élevées que celles prescrites ou à titre récréatif, représente une tendance qui a provoqué une augmentation exponentielle des décès aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada. Aux États-Unis seulement, 64 000 personnes sont mortes d’une overdose en 2016, comme le chanteur Prince, icône de la musique pop des années 80 et 90.

Ces mésusages ont déclenché une épidémie qui menace de se propager à d’autres régions, en particulier à l’Amérique latine. Les regards se tournent en particulier vers la société Purdue Pharma, une entreprise pharmaceutique controversée qui fabrique notamment l’antidouleur Oxycontin et qui a été poursuivie en justice par plusieurs États américains, dont le New Hampshire, le New Jersey et New York, pour sa responsabilité dans l’utilisation non contrôlée d’opiacés au sein de la première économie mondiale.

Purdue a commencé sa stratégie d’expansion en Amérique latine (Brésil, Colombie, Mexique, Argentine, Chili et Uruguay) en 2014, au travers de la société Mundipharma, et a depuis commandé des études pour démontrer la nécessité de ce médicament dans cette région du monde. Au Mexique, par exemple, d’après les données de l’Association internationale La consommation d’opiacés en Amérique latine est de 0,3 %, selon le dernier rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS).

Une préoccupation majeure en Amérique latine

Le problème principal dans cette région reste la cocaïne et la marijuana. En effet, le Mexique fournit depuis des décennies le marché américain de dérivés illégaux de l’opium, mais « n’a pas de problèmes avec l’héroïne », soutient Marcelo Bergman, docteur en sociologie dans l’étude Drogues, trafic et pouvoir en Amérique latine. Il ajoute que, selon l’enquête nationale sur les toxicomanies (INPRFM, 2011), la prévalence annuelle de cette drogue (soit le pourcentage de consommateurs dans la population en un an) est de 0,1 % chez les personnes âgées de 12 à 65 ans, 18 fois moins que la marijuana et 10 fois moins que la cocaïne.

Même si le problème des opiacés n’est pas alarmant, cela ne signifie pas qu’on n’observe pas attentivement la situation aux États-Unis et ses répercussions potentielles. Selon l’étude nationale sur la consommation de substances psychoactives en Colombie en 2013, 1,07 % des 32 605 personnes interrogées (âgées de 12 à 65 ans) ont déjà consommé des opiacés (morphine, oxycodone, fentanyl, hydromorphone, tramadol, mépéridine ou hydrocodone) sans ordonnance médicale.

Pour éviter que cela ne devienne un problème, Andrés López Velasco, directeur du Fonds national des stupéfiants (FNE), dans un entretien avec la Société colombienne d’anesthésiologie et de réanimation (SCARE) a déclaré : « Dans notre pays, il y a un contrôle strict des opioïdes utilisés à des fins médicales et scientifiques autorisées, centralisé par le FNE. Ce contrôle est exercé grâce à l’inspection, la surveillance et le contrôle de toute la chaîne de commercialisation des substances et des médicaments placés sous contrôle, et (…) l’accès aux médicaments qui sont le monopole de l’État, y compris les quatre opioïdes suivants : la morphine, l’hydromorphone, la mépéridine et la méthadone ».

La consommation d’opiacés s’étend à Porto Rico et au Canada

C’est tout le contraire à Porto Rico, où les organisations observent avec préoccupation que seule une personne sur quatre consomme des opiacés sur ordonnance et que 185 000 ont des problèmes de toxicomanie. Ces données sont issues de l’organisation Intercambios Puerto Rico, dont le président Rafael Torruella a décrit les décès par overdose comme un « grave problème de santé publique ».

Et bien que le Canada ne fasse pas partie de l’Amérique latine, sa proximité avec les États-Unis l’a également plongé dans ce problème grave et complexe. Le fentanyl court maintenant les rues de Vancouver, où une personne meurt tous les jours d’overdose.

Début janvier, Statistics Canada a rapporté que le taux de mortalité pour consommation d’opiacés au Québec est de 1,7 décès pour 100 000 habitants, par rapport à la moyenne nationale de 7,9. La situation empire en Colombie-Britannique, où les décès atteignent 20,7 pour 100 000 habitants.

Face à cette situation, le gouvernement du Canada a adopté une série de mesures telles que la sensibilisation et la recherche de solutions aux problèmes d’accès aux traitements de réhabilitation.

De cette manière, l’épidémie d’opiacés est considérée comme un problème non seulement aux États-Unis, mais aussi dans les deux tiers de l’Amérique du Nord, si on y inclut le Canada. À l’autre extrémité se trouve le Mexique, qui lutte contre une consommation élevée de marijuana, de cocaïne et d’amphétamines, situation qui se reproduit dans le reste de l’Amérique latine. Au Chili, la cocaïne est reine ; en Argentine, comme en Uruguay, où sa consommation a été légalisée en 2013, c’est la marijuana.

Les contrôles portant sur la consommation et la commercialisation des opiacés dans les pays de cette région empêchent également l’augmentation des usages abusifs. L’objectif n’est pas de diaboliser les opiacés, car administrés à des doses appropriées et prescrits par un médecin, ils demeurent bénéfiques, en particulier chez les patients souffrant des douleurs intenses causées par des maladies comme le cancer.

Principaux flux du trafic d’opiacés 2011-2015 (source UNODC)