Politique mondiale des drogues et droits humains

En mai 2023, Dianova a fait parvenir une contribution au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) sur les enjeux associés à la question mondiale des drogues en termes de respect des droits et de la dignité humaines

52e session du CDH

Avec cette contribution, Dianova a participé à la consultation ouverte lancée par le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme en vue de contribuer à la préparation d’un rapport qui sera présenté lors de la 54ème session du Conseil des Droits de l’Homme – photo: Shutterstock

Dianova International est une ONG dotée du statut consultatif spécial auprès de l’ECOSOC, active dans 19 pays et quatre continents. Depuis plus de trente ans, nous travaillons dans les domaines du traitement et de la prévention des addictions, au plan local et par des actions de plaidoyer.

S’agissant des implications des politiques des drogues sur les droits humains, Dianova souhaite souligner certains aspects liés à l’offre de services en matière de traitement des dépendances, car il s’agit de l’un de ses principaux domaines d’intervention. Il est essentiel de comprendre que les services intervenant en addictologie sont des services essentiels devant être fournis dans une logique de continuum de soins.

La faible disponibilité des services de traitement est d’autant plus préoccupante qu’elle affecte directement la santé des personnes qui consomment des drogues. Selon le rapport mondial sur les drogues 2022, chaque année dans le monde seule une personne sur cinq souffrant de troubles liés à la consommation de drogues reçoit un traitement. Les Nations unies et les États membres doivent reconnaître qu’une telle pénurie de services représente un problème majeur en termes de santé publique et de droits humains. Il faut également souligner que le fait d’entraver l’accès aux soins de santé et à un traitement adéquat contrevient à la fois à l’éthique médicale et au droit international, en particulier au droit à la santé inscrit dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (article 12), ainsi qu’à l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies.

En outre, comme le précise l’objectif de développement durable (ODD) 3 cible 5, il y a nécessité de « renforcer la prévention et le traitement de l’abus de substances, y compris l’abus de stupéfiants et l’usage nocif de l’alcool ». En outre, le Cadre global d’indicateurs relatif aux objectifs et aux cibles du Programme de développement durable à l’horizon 2030, donne pour indicateur (3.5.1) : Couverture des interventions thérapeutiques (services pharmacologiques, psychosociaux, services de désintoxication et de postcure) pour les troubles liés à la toxicomanie. Pour ces raisons, fournir des services de traitement accessibles doivent être considéré comme un point essentiel de toutes les discussions et analyses à cet égard.

Toutefois, le problème n’est pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif : tous les services disponibles sont loin de respecter les normes de qualité minimales en matière de traitement et ne respectent pas non plus les principes fondamentaux des droits humains. Par exemple, les pratiques de traitement avec placement involontaire sont courantes et posent de sérieux problèmes en matière de droits humains et de respect de la dignité.

Une autre préoccupation que Dianova souhaite partager est la réduction du soutien aux programmes de traitement à moyen et long terme, axés sur des interventions biopsychosociales, et plus particulièrement aux programmes de traitement résidentiel. Cette tendance est préoccupante car elle limite considérablement l’offre de services et d’approches d’intervention. On observe aujourd’hui une tendance croissante à s’appuyer sur des réponses de nature essentiellement pharmacologique, dans une perspective biomédicale à plus court terme et à meilleur prix. Il ne fait aucun doute que les pharmacothérapies peuvent être utiles dans le traitement des addictions, mais Dianova estime qu’elles devraient être combinées à des approches fondées sur des données probantes, telles que les interventions biopsychosociales ou la thérapie cognitivo-comportementale, lesquelles sont davantage susceptibles de fournir aux patients les capacités et les compétences nécessaires à leur rétablissement à long terme. C’est pourquoi l’organisation Dianova estime que la surmédicalisation des bénéficiaires peut être préjudiciable à leur rétablissement, en même temps qu’elle fait part de certaines inquiétudes du point de vue des droits humains.

Il est également important de souligner que les autres aspects essentiels à la santé et au bien-être des personnes incluent l’accès à l’emploi, à un logement abordable, à des services de garde d’enfants, etc. Il est donc crucial d’aider les personnes qui consomment des drogues à accéder à ces services, dans une perspective de santé et de droits humains. Malheureusement, il existe une fracture énorme dans l’accès aux services de réadaptation et de réinsertion sociale. Cela nuit directement à la continuité des soins et à l’efficacité des programmes de traitement des dépendances.

Outre le manque relatif de de services de traitement adéquats et de qualité, certaines personnes, notamment les femmes et les personnes LGBT+, éprouvent d’énormes difficultés à accéder à ces services ou à y rester. Comme le souligne une infographie publiée par Dianova (« La voie à suivre: mettre en œuvre des programmes sexospécifiques de traitement des addictions pour éliminer les obstacles que rencontrent les femmes« ), l’élimination des barrières liées au genre dans les services d’addictologie est d’une importance capitale étant donné l’écart entre les sexes dans l’accès aux services.

Bien que cette question ait été reconnue par les institutions compétentes, comme le montrent la résolution 52/24 du Conseil des droits de l’homme et la résolution 59/5 de la Commission des Stupéfiants sur l’intégration d’une perspective de genre dans les politiques et programmes relatifs aux drogues, il reste encore beaucoup à faire pour développer efficacement des services tenant compte de la dimension de genre, tout en poursuivant, au niveau politique, des stratégies de plaidoyer solides qui s’attaquent aux causes profondes des inégalités. A cet égard, le Forum de la société civile sur les drogues dans l’UE a récemment publié un rapport sur la manière de renforcer la perspective de genre dans la politique de l’UE en matière de drogues, avec un certain nombre de recommandations et d’aspects qui pourraient être pertinents dans d’autres régions du monde.

Dianova souhaite également mettre en lumière une question longtemps occultée, à savoir la situation des enfants dont les parents consomment des drogues.  Lorsque les politiques en matière de drogues abordent leur situation, c’est généralement pour mentionner la nécessité de développer des activités de prévention qui les ciblent, ou leur implication potentielle dans la production illicite, et il y a très peu de références à l’usage de substances par les parents et à ses conséquences sur les enfants. Les politiques en matière de drogues doivent s’efforcer de répondre à leurs besoins à tous les niveaux et d’aborder de manière adéquate non seulement les situations de négligence et de stigmatisation auxquelles ces enfants peuvent être confrontés, mais aussi les risques auxquels ils sont exposés, aux plans physique, psychologique ou social. Cette question gagne peu à peu en visibilité dans l’agenda politique, notamment après la publication d’un rapport sur le sujet par le Groupe Pompidou. Dianova a d’ailleurs réalisé une infographie sur ce thème : « Protéger les droits des enfants affectés par l’usage de substances de leurs parents« .

Un autre élément important affecte la capacité des personnes à entrer dans des programmes de traitement, à savoir la criminalisation de l’usage de drogues. Dianova plaide pour la décriminalisation de l’usage de toutes les substances psychoactives. Dianova estime que les poursuites judiciaires, les sanctions et autres casiers judiciaires n’incitent pas les personnes à accéder aux programmes de traitement ni à rechercher le meilleur état de santé possible – c’est même tout le contraire. Dianova appelle à mettre fin aux politiques répressives qui sont non seulement inefficaces mais qui ne font que marginaliser les personnes qui consomment des drogues et réduire l’accès aux soins dont elles ont besoin. A cet égard, Dianova se félicite de la position claire du HCDH en faveur de la décriminalisation de l’usage de drogues.

Enfin, nous ne pouvons pas ne pas mentionner les violations flagrantes des droits humains et du droit international dont font preuve les 35 pays qui maintiennent la peine de mort pour les délits liés aux drogues. La situation est urgente, cela doit cesser.

Sur la base de ce qui précède, nous sommes heureux de soumettre les recommandations suivantes auprès HCDH:

  • Continuer à s’intéresser de près aux questions liées aux drogues et leur donner autant de visibilité que possible dans les débats et les travaux sur les droits humains. Les politiques en matière de drogues ne devraient pas être du seul ressort des institutions spécialisées, car elles ont un impact manifeste sur d’autres questions, notamment la santé, les droits humains ou le développement. C’est pourquoi le HCDH et le Conseil des droits de l’homme devraient jouer un rôle central à cet égard.
  • Encourager les États membres à investir et à soutenir la mise en place d’un large éventail de services de prise en charge des dépendances afin d’accroître une offre de services abordables et conformes aux normes de qualité.
  • Encourager les États membres à produire et à suivre les données relatives à l’indicateur 3.5.1 de l’objectif de développement durable. Les Nations unies doivent se charger de suivre l’évolution de cet indicateur.
  • Surveiller et dénoncer de façon périodique les situations dans lesquelles la fourniture de services liés aux drogues est susceptible de violer les droits humains.
  • Envisager de faire une analyse plus approfondie des types de traitement fournis et formuler des recommandations afin de surveiller ou contrer la tendance à la surmédicalisation des personnes présentant une dépendance.
  • Reconnaître que les services de rétablissement et de réinsertion sont des composantes essentielles du continuum de soins et formuler des recommandations visant à garantir le suivi, la disponibilité et la qualité de ces services.
  • Promouvoir la reconnaissance de la dimension de genre parmi les États membres afin de garantir l’intégration d’une perspective de genre dans les politiques et les services liés aux drogues.
  • Inclure les droits des enfants affectés par la consommation de substances de leurs parents dans ses rapports et ses consultations sur les défis en matière de droits humains posés par les réponses apportées à la question mondiale des drogues.
  • Continuer à plaider en faveur de la décriminalisation des substances au niveau des Nations unies et parmi les États membres, en tant qu’élément clé visant à garantir que les personnes qui consomment des drogues puissent jouir de leurs droits.
  • Promouvoir de toutes les façons possibles l’abolition de la peine de mort dans le monde, et continuer à dénoncer les Etats membres et les juridictions qui la pratiquent.

Dianova reste à la disposition du HCDH pour répondre à toute demande d’éclaircissement ou pour fournir toute information complémentaire concernant cette consultation. Vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante

dianova@dianova.org