Mettre fin à la « guerre contre la drogue » et promouvoir des politiques fondées sur les droits de l’homme

Les experts des droits de l’homme des Nations unies appellent la communauté internationale à mettre fin à la « guerre contre la drogue »

Pulvérisation aérienne

Les herbicides utilisés pour la pulvérisation aérienne des cultures de coca peuvent nuire à la santé des habitants des régions concernées, endommager leurs cultures vivrières légales, empoisonner leur eau potable et tuer ou faire fuir les oiseaux et la faune sauvage – Photo : Pixabay

GENÈVE (24 juin 2022) – Les experts des droits de l’homme de l’ONU ont appelé la communauté internationale à mettre fin à la « guerre contre la drogue » et à promouvoir des politiques en matière de drogues fermement ancrées dans les droits de l’homme. En amont de la Journée internationale contre l’abus et le trafic illicite de drogues, le 26 juin 2022, ces experts ont publié la déclaration suivante:

« Les données et l’expérience accumulées par les experts de l’ONU ont montré que la « guerre contre la drogue » nuit à la santé et au bien-être social et gaspille les ressources publiques sans parvenir pour autant à éradiquer la demande de drogues illégales et le marché de ces mêmes drogues. Pire encore, cette « guerre » a donné naissance à des narco-économies opérant aux niveaux local, national et régional au détriment, dans plusieurs cas, du développement national. Ces politiques ont des répercussions négatives de grande ampleur sur nombre de droits l’homme, dont le droit à la liberté individuelle, le droit de ne pas être soumis au travail forcé, le droit de ne pas être soumis à des mauvais traitements et de la torture, le droit à un procès équitable, le droit à la santé, y compris aux traitements et aux soins palliatifs, le droit à un logement convenable, le droit à ne pas être victime de discrimination, le droit à un environnement propre et sain, le droit à la culture et aux libertés d’expression, de religion, de réunion et d’association, ainsi que le droit à l’égalité de traitement devant la loi.

Ces politiques, dont beaucoup ne tiennent aucun compte du genre, ont également eu un impact profondément négatif sur les personnes les plus vulnérables dans le monde, notamment les minorités, les personnes d’origine africaine, les populations autochtones, les enfants et les jeunes, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les personnes vivant avec le VIH/sida, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées, les sans-abri, les travailleurs et travailleuses du sexe, les migrants, les chômeurs et les anciens détenus. À l’échelle mondiale, les femmes purgent des peines d’emprisonnement liées à des infractions à la législation sur les stupéfiants à un taux/une proportion beaucoup plus élevé(e) que les hommes, et ce, le plus souvent, en dépit de leur faible implication, voire de leur première participation dans ces infractions, ainsi que du caractère non violent de celles-ci. Les stéréotypes sexistes souvent discriminatoires concernant la conduite « morale » des femmes jouent un rôle dans cette disproportion des peines de prison.

 

Dans une étude majeure publiée en 2021, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a constaté que la « guerre contre la drogue » avait entraîné une incarcération massive par le biais du profilage ethnique, des lois et procédures de perquisition et saisie, d’une détention provisoire excessive, de condamnations disproportionnées et de la criminalisation des personnes qui consomment des drogues, y compris, dans certains pays, les femmes enceintes. L’étude a également mis au jour des violations répétées des droits liées à l’application des lois sur les drogues, notamment l’emprisonnement illégal, le jugement d’enfants et d’adolescents en tant qu' »adultes », la torture et les mauvais traitements, l’absence de garanties de procès équitables, les exécutions extrajudiciaires et le recours abusif à la peine de mort.

Bien que, en vertu du droit international, la peine de mort ne puisse être imposée que pour les « crimes les plus graves », ce qui logiquement se traduit par les actes d’homicide volontaire, un large éventail d’infractions liés aux drogues demeure pourtant, dans plus de 30 pays, passible de la peine de mort.

"Die-In" contre la peine de mort

Au moins 33 pays et territoires prescrivent la peine de mort comme sanction obligatoire pour les infractions liées à la drogue – photo : « Paris Die-in, 2007 », par la Coalition mondiale contre la peine de mort, via Flickr, licence : CC BY-SA 2.0

Chacun, sans exception, a le droit de bénéficier des interventions de réduction des risques qui ont fait leurs preuves pour sauver des vies. Pourtant, la couverture de ce type de services demeure très faible, alors même qu’ils sont essentiels pour assurer la protection des personnes qui utilisent des drogues et garantir leur droit à la santé physique et mentale.

Comme l’a souligné la position commune du système des Nations unies sur la politique en matière de drogues, la consommation de drogues et la dépendance ne devraient pas être traitées comme une question criminelle, mais comme une question de santé à laquelle il faut répondre par des mesures fondées sur les droits, notamment l’éducation à la santé publique, la fourniture de traitements d’hygiène mentale, les services de soins et d’accompagnement, ainsi que les programmes de réadaptation et de transition/réinsertion.

En outre, la menace d’emprisonnement ne devrait pas être utilisée comme un outil coercitif pour inciter les personnes à suivre un traitement en cas de difficultés avec les drogues. Ces traitements doivent toujours être volontaires, fondés sur le consentement éclairé, et exclusivement dispensés par des professionnels de santé. À cette fin, il convient de mettre un terme à tous les programmes de traitement forcé.

L’éradication forcée des cultures dans le cadre des politiques de contrôle des drogues peut entraîner des pertes de vies humaines en raison de l’usage excessif de la force par les forces de sécurité. L’épandage aérien des substances dangereuses utilisées contre les cultures illégales peut causer de graves dommages à l’environnement, aux récoltes de subsistance et aux réserves d’une eau propre et saine, ainsi qu’à la santé, à l’indépendance économique et financière, au bien-être et à la prospérité des peuples autochtones et des communautés paysannes, et les femmes sont les premières concernées. Également préoccupante est la mise en œuvre de programmes d’éradication forcée des cultures sans aucun respect pour le droit des groupes et des personnes concernées à être informés et à participer au processus de décision.

Le système des Nations Unies, la communauté internationale et les États membres ont la responsabilité historique d’inverser les conséquences dévastatrices de décennies d’une « guerre contre la drogue » menée au plan mondial.

Nous appelons collectivement les États membres et toutes les agences de l’ONU à fonder leurs réponses politiques en matière de drogues sur le droit et les normes internationales en matière de droits de l’homme. En outre, les États et les organismes internationaux qui fournissent une assistance financière ou technique en matière de politique des drogues doivent veiller à ce que ces politiques tiennent compte de la dimension de genre tout en respectant et en cherchant activement à protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

Nous exhortons les États membres et les organismes internationaux à remplacer leurs politiques actuelles en matière de drogues par des politiques fondées sur les principes d’application d’une justice globale, réparatrice et réintégratrice. Des mesures de prévention efficaces, communautaires et inclusives sont tout aussi importantes.

Aujourd’hui plus que jamais, la communauté internationale doit remplacer la punition par le soutien et promouvoir des politiques qui respectent, protègent et mettent en œuvre les droits de toutes les communautés. »


 

Les expert·e·s:

 

Les rapporteurs spéciaux font partie de ce que l’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, qui constituent le plus grand groupe d’experts indépendants du système des droits de l’homme des Nations unies, sont le nom général des mécanismes indépendants d’enquête et de surveillance du Conseil, qui traitent soit de situations nationales spécifiques, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent bénévolement ; ils ne font pas partie du personnel de l’ONU et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et servent à titre individuel.