Les usagers de drogues face au Covid-19

Personne désespérée

La pandémie de Covid-19 exige des réponses urgentes, mais il est essentiel que les gouvernements prennent des mesures pour protéger et aider ceux d’entre nous qui sont particulièrement vulnérables, comme les usagers de drogues et les sans-abri

Note : la déclaration suivante de Dainius Pūras, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de toute personne à jouir du meilleur état de santé physique et mental possible, a été publiée à l’origine sur le site web du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, en anglais. Les traductions espagnole et française de ce texte sont fournies par Dianova.

Dans le contexte actuel de COVID-19, les personnes qui utilisent des drogues sont confrontées à des besoins et à des risques uniques, en raison de la criminalisation, de la stigmatisation, de la discrimination, des problèmes de santé sous-jacents, de la marginalisation sociale et de vulnérabilités économiques et sociales plus importantes, notamment le manque d’accès à un logement et à des soins de santé adéquats. Il convient de continuer à leur fournir des services de traitement et de réduction des risques.

16 avril 2020 – le COVID-19 est désormais une urgence de santé publique mondiale qui pose des défis sans précédent, créant de nouvelles vulnérabilités et exacerbant celles qui existent déjà. La situation liée à la pandémie du COVID-19 exige des pays qu’ils prennent des mesures extraordinaires pour protéger la santé et le bien-être de leurs populations. Le COVID-19 aura un impact différent sur chaque pays en fonction de leurs infrastructures sanitaires, de la propagation du virus, du contexte politique, économique et social, ainsi que de l’état de préparation du pays.

À mesure que le COVID-19 se répand, tous nos efforts doivent faits pour ralentir sa propagation et pour garantir que les personnes les plus vulnérables reçoivent la protection et les soins auxquels elles ont droit. Pour prévenir la propagation de ce virus, il faut parvenir à rejoindre out le monde et garantir un accès équitable et non discriminatoire à l’information, à la prévention, aux soins médicaux et aux traitements pour tous, indépendamment de la citoyenneté, de la nationalité ou du statut migratoire.

Toute personne, sans exception, a le droit de bénéficier d’interventions vitales et cette responsabilité incombe aux autorités nationales. Il est essentiel que les gouvernements qui introduisent des mesures pour empêcher la propagation du COVID-19, mettent en œuvre une série d’actions complémentaires afin de réduire l’impact potentiellement négatif que ces mesures sont susceptibles d’avoir sur la vie des personnes.

Selon le Rapport mondial sur les drogues 2019, quelque 35 millions de personnes dans le monde sont affectées par des troubles liés à la consommation de drogues, un chiffre estimé à 30,5 millions en 2016. Ces personnes  nécessitent des services de traitement et de réduction des risques. Les dernières données disponibles indiquent que le nombre de décès a également augmenté : 585 000 personnes sont mortes des suites de la consommation de drogue en 2017. Dans le contexte actuel de COVID-19, les personnes qui font usage de drogues sont confrontées à des besoins et à des risques uniques, en raison de la criminalisation, de la stigmatisation, de la discrimination, des problèmes de santé sous-jacents, de la marginalisation sociale et des vulnérabilités économiques et sociales plus importantes, notamment le manque d’accès à un logement et à des soins de santé adéquats. Les groupes vulnérables parmi les usagers de drogues doivent être reconnus comme une population à haut risque afin d’atténuer la propagation de la pandémie.

Accès aux services de réduction des risques

Les services de réduction des risques, notamment le traitement par agonistes opiacés (TAO), les programmes d’échange d’aiguilles et de seringues, la distribution de naloxone (un médicament qui peut inverser les effets d’une surdose d’opiacés) et les sites de prévention des surdoses sont essentiels pour la protection du droit à la santé des personnes qui consomment des drogues. Dans le contexte d’urgence lié au COVID-19, ces services doivent être reconnus comme essentiels et doivent par conséquent demeurer disponibles, accessibles, acceptables et de qualité adéquate, sans discrimination.

 

Les services de réduction des risques doivent rejoindre les personnes là où elles se trouvent, dans un contexte d’isolement et de confinement accru. La distribution de produits stériles doit être soutenue par une distribution (secondaire) entre pairs et les services de livraison à domicile devraient être mis en place (afin d’éviter de mettre plus encore à contribution les systèmes de santé nationaux). Les clients doivent avoir accès à des équipements de protection individuelle adéquats et aux services essentiels sans discrimination et sans crainte de harcèlement ou de répercussions. Les autorités nationales doivent fournir les orientations nécessaires aux services de police afin d’autoriser la mise en place de services de réduction des risques.

Les personnes qui consomment des drogues sont vulnérables au VIH, à la tuberculose (TB) et à l’hépatite, ainsi qu’aux surdoses. L’accès continu aux médicaments – incluant notamment les traitements antirétroviraux (ART) pour les personnes vivant avec le VIH/sida, les médicaments antituberculeux, y compris les traitements de deuxième ligne, les médicaments antiviraux et les interférons pour l’hépatite, et la naloxone – est essentiel permettre aux populations vulnérables de rester en bonne santé. Les États doivent envisager d’adopter des mesures pour assurer une production/importation adéquate de ces médicaments et permettre aux consommateurs de drogues, aux prestataires de services de réduction des risques et aux services de santé de disposer de réserves de médicaments contre le VIH, la tuberculose, l’hépatite et les surdoses.

Dans l’urgence actuelle du COVID-19, des mesures budgétaires exceptionnelles pourraient devoir être adoptées. Le financement des services de réduction des risques et des services connexes doit cependant être préservé. Des fonds supplémentaires peuvent être mis à disposition pour soutenir des mesures exceptionnelles visant la fourniture de ces services.

Accès aux médicaments contrôlés

La disponibilité et l’accessibilité des médicaments contrôlés doivent être garanties pour le traitement des troubles de l’usage de substances, les soins palliatifs, notamment pour les personnes âgées[1], et d’autres traitements. Le respect des procédures complexes requises pour les médicaments sous contrôle peut créer des obstacles à l’accès à ces médicaments. Dans le contexte actuel du COVID-19, les États doivent adopter les mesures nécessaires pour garantir que les chaînes d’approvisionnement internationales ne sont pas perturbées. Comme l’a récemment recommandé l’Organe international de contrôle des stupéfiants, les États doivent veiller à maintenir des stocks de réserve suffisants de substances contrôlées afin de garantir leur disponibilité pendant toute la durée de la pandémie de COVID-19. Les États doivent utiliser des procédures de contrôle simplifiées pour l’exportation, le transport, le stockage et la fourniture de médicaments contenant des substances contrôlées, afin de garantir que la population puisse disposer d’un accès constant à ces médicaments et éviter les symptômes de sevrage.

Les femmes qui consomment des drogues

On estime qu’environ un tiers des personnes qui consomment des drogues sont des femmes. On considère que ces femmes sont systématiquement plus exposées au risque d’infection par le VIH et l’hépatite C. Les recherches disponibles indiquent également que les femmes aux prises avec un trouble de l’utilisation de substance sont plus souvent victimes de violences de la part de leur partenaire intime que les femmes de la population générale. Ce phénomène est susceptible d’être exacerbé dans un contexte d’isolement et de stress accrus.

Il est donc essentiel que les services de réduction des risques, les services de santé sexuelle et reproductive et les services de lutte contre les violences domestiques soient maintenus en activité et disposent de l’équipement nécessaire à leur efficacité. À cet égard, les États doivent mettre en œuvre les recommandations de la Note technique intérimaire sur la protection contre l’exploitation et les abus sexuels lors de la réponse à la COVID-19.

Les sans-abri et les usagers de drogues

Comme les gens sont appelés à rester chez eux, il est vital que les gouvernements prennent des mesures urgentes pour aider les personnes sans logement adéquat, y compris les sans-abri. Dans le monde entier, un grand nombre de sans-abri usagers de drogues sont maintenant confrontés à de nouveaux défis dus au confinement et aux autres mesures d’urgence. Il est urgent de prendre des mesures spécifiques pour garantir le maintien des services communautaires d’aide sociale et de réduction des risques au bénéfice de cette population. En tout état de cause, les sanctions pénales liées au COVID-19 ne doivent pas cibler les populations vulnérables, telles que les personnes sans-abri et usagères de drogues. Au contraire, ces personnes doivent être protégées contre un ciblage disproportionné ou discriminatoire des forces de l’ordre. En outre, les États doivent envisager de mettre en œuvre les recommandations de la note d’orientation COVID-19 sur la protection des résidents des établissements informels.

Prisons et autres lieux de détention, dont les centres de traitement obligatoire des addictions

Les prisons et autres lieux de détention sont des environnements à haut risque de propagation des maladies infectieuses. Un nombre disproportionné de personnes qui consomment des drogues sont emprisonnées dans le monde entier en raison de la criminalisation de l’usage et de la possession de drogues à des fins personnelles, dont des milliers se trouvent dans le couloir de la mort, en violation du droit international des droits humains.

Certains États ont récemment pris des initiatives exemplaires pour réduire la surpopulation existant dans les prisons et autres lieux de détention en favorisant la libération anticipée et en réduisant l’admission de détenus, dans le but de protéger la santé de ces derniers et celle du personnel. Tous les États doivent envisager la libération anticipée des prisonniers présentant des vulnérabilités sanitaires (notamment ceux qui sont atteints du VIH, de l’hépatite C, de la tuberculose ou d’une dépendance aux drogues), des prisonniers ayant des personnes à charge, ainsi que de ceux qui sont accusés d’infractions mineures et non violentes liées ou non aux drogues, tout en planifiant adéquatement la prise en charge sanitaire des personnes libérées.

Les plans de préparation et d’intervention au COVID-19 adoptés au sein des prisons et des autres établissements de détention doivent comprendre des mesures ciblées visant à protéger la santé des personnes qui consomment des drogues. À cet égard, les États doivent tenir compte de la note d’orientation provisoire sur le COVID-19 : gros plan sur les personnes privées de liberté.

Dans le monde, des milliers de personnes sont également placées, en vertu de décisions des cours et tribunaux de la drogue, dans des centres de traitement des addictions, qu’ils soient publics ou privés. Comme le souligne la déclaration commune des Nations unies de 2012 sur la détention et la réhabilitation obligatoires des usagers de drogues, ces centres « soulèvent des questions de droits humains et menacent la santé des détenus ». Dans le contexte de l’urgence du COVID-19, et conformément aux Directives internationales sur les droits humains et les politiques en matière de drogues, là où les centres de traitement obligatoire des addictions sont en fonctionnement, les États « doivent prendre des mesures immédiates pour fermer ces centres, libérer les personnes qui y sont placées de force et remplacer ces installations par des services communautaires de soins et de soutien volontaires et scientifiquement fondés ». En particulier, les États doivent examiner la nécessité et le caractère raisonnable de la détention en matière de drogues. Des mesures efficaces doivent être mises en place, et financées de manière adéquate, pour garantir que les personnes libérées des prisons et autres lieux de détention bénéficient d’une continuité des soins, d’un accès à un logement adéquat et aux soins de santé communautaire.

Pouvoirs d’urgence et droit à la santé

Des pouvoirs coercitifs additionnels peuvent être mis en place dans le cadre de l’urgence et comme prévu exceptionnellement dans les lois d’urgence liées à la crise du COVID-19. De tels pouvoirs doivent être soigneusement mis en balance avec le droit à la santé, ainsi qu’avec le droit à la vie privée. Les pouvoirs coercitifs ne doivent pas être une entrave à la promotion et à la protection de la santé individuelle et publique. Dans le même temps, la surveillance accrue prévue par certaines lois d’urgence peut encore davantage exposer les usagers de drogues et les autres populations criminalisées aux pouvoirs policiers et à l’emprisonnement, que ce soit maintenant ou dans le futur. L’absence de garanties adéquates concernant les données de santé a déjà provoqué un tollé général ainsi que nombre d’atteintes à la vie privée, notamment dans les pays qui ont voulu utiliser les données des médias sociaux pour repérer les usagers de drogue par géolocalisation, prétextant de la situation liée au COVID-19. Pour éviter l’admission inutile de nouveaux détenus ainsi que les pratiques dangereuses de consommation de drogue, des moratoires doivent être envisagés sur l’application des lois criminalisant la consommation et la possession de drogues.

Information et participation

Les informations pertinentes sur la pandémie COVID-19 et les réponses à y apporter doivent être accessibles à tous, sans exception. L’information doit comprendre des détails sur l’impact de la situation d’urgence sur les populations spécifiques et sur les risques encourus par les usagers de drogues, et promouvoir des pratiques de consommation de drogues plus sûres. Les États doivent veiller à ce que les informations sur la réduction des risques soient disponibles et accessibles dans un contexte d’isolement accru lié à la crise du COVID-19. Dans ce contexte, l’accès à Internet est essentiel pour garantir que l’information parvienne aux personnes concernées par le virus et par les mesures prises pour faire face à la crise. Les gouvernements ne doivent pas recourir à des interruptions ou à des fermetures d’Internet, mais au contraire assurer l’accès le plus large possible au service Internet et prendre des mesures pour combler le fossé numérique.

L’expert : Dainius Pūras (Lituanie) a pris ses fonctions de rapporteur spécial des Nations unies sur le droit des personnes à jouir du meilleur état de santé physique et mental possible. Il a pris ses fonctions le 1er août 2014. Directeur de l’Institut de surveillance des droits humains de Vilnius, en Lituanie, M. Pūras est également professeur de psychiatrie pour enfants et adolescents et de santé mentale publique à l’université de Vilnius et enseigne dans les facultés de médecine et de philosophie de cette même université. En tant que docteur en médecine, il possède une expertise notable en matière de santé mentale et de santé infantile.


 

[1] Rapport de l’expert indépendant sur la jouissance de tous les droits humains par les personnes âgées – A/HRC/30/43 sur l’autonomie et les soins des personnes âgées