Les femmes sont sous-représentées dans les services de dépendance : parmi les personnes qui accèdent aux programmes , seule une sur cinq est une femme !
Déclaration à l’intention des décideurs
Alors que la consommation de drogues et le besoin de traitement des addictions augmentent dans le monde entier, l’accès aux services de traitement et de réduction des méfaites est loin d’être suffisant. Il existe un écart considérable entre les besoins et les services. Cette situation est particulièrement préoccupante car elle peut avoir des conséquences dramatiques pour la santé des personnes.
Selon le rapport mondial sur les drogues 2022, seule une personne présentant des troubles associés à l’usage de drogues sur cinq reçoit un traitement. En regardant les choses de plus près et en tenant compte des aspects liés au genre, le tableau est plus sombre encore: parmi les personnes qui reçoivent des services de traitement, seule une sur cinq est une femme !
Si les hommes sont plus enclins que les femmes à consommer tous types de drogues illégales, les femmes sont encore nettement sous-représentées dans les services de soins. Le fait d’appartenir à l’un ou l’autre sexe a un impact notable sur l’initiation à l’usage de substances, sur l’évolution vers la dépendance, sur les méfaits associés à l’usage d’alcool et d’autres drogues, ainsi que sur l’accès et l’adhésion aux services de traitement. Sur ce dernier point, les femmes sont manifestement désavantagées en raison des multiples obstacles auxquels elles sont confrontées.
A l’occasion de la « journée mondiale des drogues », le 26 juin, Dianova lance une nouvelle campagne intitulée « Des services à la portée de toutes« , visant à mettre en lumière les multiples obstacles que les femmes doivent surmonter lorsqu’elles souhaitent accéder aux services de traitement et de réduction des méfaits, ainsi que la nécessité de lever ces barrières une fois pour toutes. Pour atteindre cet objectif, les décideurs ont un rôle essentiel à jouer.
Quelles sont ces barrières ?
Les obstacles auxquels les femmes sont confrontées sont de nature culturelle, sociale, structurelle et liés à leur genre. Le présent document n’a pas pour but de les énumérer tous, mais plutôt de mettre en évidence les plus importants, sur la base de l’expérience même des femmes concernées :
La plupart des services ne disposent pas de protocoles et d’interventions tenant compte de la dimension de genre – ils ne peuvent donc pas répondre de manière adéquate aux besoins des femmes et des personnes LGBT+. Ces services sont généralement fondés sur une perspective androcentrique, c’est-à-dire qu’ils sont principalement axés sur les besoins des hommes – soit les bénéficiaires les plus nombreux.
Il en résulte qu’ils n’offrent généralement pas de services de soutien familial, ni de services de garde pour les enfants des participant·es, non plus que d’interventions pour les femmes enceintes ou des horaires d’ouverture souples, compatibles avec les responsabilités familiales, pour ne citer que quelques-unes de ces conséquences.
Par ailleurs, en l’absence de protocoles sensibles au genre, les services de prise en charge des addictions ne proposent pas toujours d’interventions dédiées à la question des violences de genre, alors que l’on sait aujourd’hui que ces dernières représentent un facteur clé de succès des services destinés aux femmes.
Enfin, l’absence de perspective de genre implique également que les professionnel·les concerné·es manquent souvent de formation sur ces questions, alors qu’ils et elles peuvent eux aussi être victimes de préjugés à l’égard des femmes et des personnes LGBT+ qui utilisent des drogues.
La peur de perdre la garde de leurs enfants – de nombreuses femmes pensent que le fait de se déclarer « consommatrices de drogues » va bouleverser leur vie, qu’elles vont perdre leur famille et même être poursuivies en justice parce qu’elles utilisent une substance illégale.
La stigmatisation associée à la consommation de drogues reste un lourd fardeau – la stigmatisation des personnes qui consomment des drogues est un obstacle aux efforts de prévention, de promotion de la santé, de réduction des risques et de traitement. Elle pousse également les personnes qui consomment des drogues à intérioriser leur propre stigmatisation, entraînant des niveaux de stress élevés, une faible estime d’elles-mêmes et des sentiments de honte, de culpabilité, de colère et de désespoir qui, à leur tour, peuvent alimenter ou aggraver leur consommation. La stigmatisation participe aussi de la normalisation de la discrimination des personnes.
Enfin, les femmes qui consomment des drogues sont souvent confrontées à une double, voire une triple stigmatisation : tout d’abord, en raison de leur consommation de substances, ensuite parce qu’elles sont perçues comme ne répondant pas aux attentes liées à leur sexe en tant que femmes, notamment en ce qui concerne les responsabilités familiales, et enfin, parce que beaucoup d’entre-elles font face à d’autres types de stigmatisation parce qu’elles sont sans abri ou font face à la maladie mentale.
Politiques et services sensibles au genre : aspects clés
Les obstacles que nous avons évoqués ont un impact majeur sur les femmes dans leur recherche d’aide et de soutien et ils peuvent ainsi contribuer à pérenniser leurs problèmes et à détériorer leur situation.
Il est urgent de développer des politiques et des services de prise en charge des addictions qui tiennent compte des spécificités de chaque sexe et qui aillent au-delà des questions liées à la grossesse et à la maternité, afin de surmonter les obstacles qui empêchent les femmes de réaliser leur plein potentiel en termes de santé et de bien-être.
Nous avons vu ces dernières années des progrès rapides et on a largement reconnu la nécessité de mettre en œuvre des approches et des stratégies tenant compte de la dimension de genre. Beaucoup a été fait en termes de lignes directrices et de recommandations, mais ces avancées ne se traduisent pas toujours par des changements politiques.
Il est nécessaire de prendre des décisions politiques ayant un impact sur le terrain. Il faut inciter à une plus grande prise de conscience du problème afin de mettre un terme aux obstacles qui empêchent les personnes d’avoir accès l’accès ou d’adhérer aux services d’aide et d’accompagnement.
Voici quelques-unes des mesures à promouvoir afin de renforcer la prise en compte de la dimension de genre :
- Prendre l’engagement politique de concevoir et de mettre en œuvre des politiques sensibles au genre qui tiennent compte des besoins spécifiques liés au genre. Cela implique de recueillir des données ventilées par sexe afin d’éclairer les processus de prise de décision.
- Travailler activement à l’élimination de la stigmatisation des personnes qui consomment des drogues, en mettant notamment l’accent sur la double ou triple stigmatisation à laquelle les femmes qui consomment des drogues doivent faire face.
- Mettre en œuvre des actions de plaidoyer en faveur de l’intégration de la dimension de genre dans les politiques, les initiatives, les programmes et les services associés aux drogues. La question du genre doit être un principe transversal de toutes les actions conçues et développées dans ce domaine, y compris dans les services mixtes, les services réservés aux femmes et ceux qui s’adressent aux hommes.
- Accorder une plus grande attention au lien entre les violences de genre et les dépendances et développer des interventions et des techniques susceptibles d’aider les femmes et les personnes LGBT+ à mieux gérer ces traumatismes, dans des espaces où elles se sentent à la fois en sécurité et comprises.
- Promouvoir la mise en place d’initiatives qui encouragent les femmes ayant des enfants à charge à accéder aux services d’accompagnement et de soins : mise en place de services de garde d’enfants, horaires d’ouverture et modalités d’admission plus souples, etc.
- Investir dans la formation des professionnel·les. Les préjugés à l’égard des femmes sont encore très répandus parmi les prestataires de services. Entre autres préjugés, les femmes sont censées être moins motivées que les hommes, moins dociles et plus enclines à la manipulation. En raison de ces préjugés, les professionnel·les ont tendance à adopter un double standard selon que les bénéficiaires sont des hommes ou des femmes.
- Mieux comprendre les questions de genre au sens large afin d’inclure les caractéristiques et les besoins spécifiques des personnes LGBT+.
- Soutenir la mise en place de services réservés aux femmes afin qu’elles disposent d’espaces sûrs où elles se sentent en confiance pour discuter de leurs problèmes spécifiques.
- Développer des approches et des services sensibles à la communauté LGBT+ qui répondent à leurs besoins spécifiques.
- Développer, dans le cadre de tous les programmes et services (quel que soit les personnes auxquels ils sont destinés), des activités et des ateliers de sensibilisation visant à aider les bénéficiaires à comprendre l’importance des questions liées au genre.
Il ne s’agit là que de quelques-unes des nombreuses initiatives dans le cadre desquelles les décideurs peuvent être de véritables acteurs du changement. Dans l’ensemble, nous appelons les décideurs à donner la priorité à l’intégration de la perspective de genre dans les politiques et les services afin de s’assurer que les services soient réellement à la portée de toutes.