Déclaration au Comité des ONG sur la migration à New York

Manifestation de réfugiés

Des réfugiés syriens manifestent sur les voies de la gare de Keleti à Budapest, septembre 2015 – Mstyslav Chernov, licence CC BY-SA 4.0

La déclaration suivante a été prononcée le 12 octobre 2017 au cours d’un événement organisé par le Comité des ONG sur la migration à New York.

Je vais vous parler de l’expérience des programmes de Dianova pour l’accueil et l’hébergement des réfugiés, notamment d’enfants et de familles, en Espagne et en Suède. Je précise qu’il ne s’agit pas de programmes d’accueil aux frontières ni dans les camps de réfugiés, mais d’actions visant des demandeurs d’asile qui nous sont adressés par les pouvoirs publics. Ces personnes se trouvent, pourrait-on dire, au milieu du gué : en séjour régulier dans le pays, mais précaires puisque la suite dépendra de l’issue de leur demande d’asile.

En Espagne, nous avons récemment clôturé notre dernier cycle de réception de demandeurs d’asile : un programme complet de 2 ans pour 300 bénéficiaires, qui incluait tout ce dont les réfugiés avaient besoin pour leur santé, leur bien-être et leur intégration dans le pays d’accueil.

En Suède, nous travaillons en partenariat avec une association du nom de Liberandum pour trouver un logement aux familles qui viennent de recevoir leur permis de séjour et attendent l’examen de leur demande d’asile.

Il est intéressant de noter que j’ai parlé séparément aux représentants des deux programmes, mais que l’analyse globale de la situation dans les deux pays et les échos que j’en ai eus étaient très similaires. Je vais vous exposer, dans les grandes lignes, quelques-unes des difficultés et des recommandations qui sont ressorties de ces discussions :

  1. En Espagne comme en Suède, les enfants pris en charge par nos programmes ont été très peu confrontés à la xénophobie et aux discriminations. En raison de leur statut, ces enfants ont accès sans restriction à l’éducation dans les deux pays. Il n’y a pas eu de problèmes pour leur inscription à l’école, ni généralement pour leur intégration parmi les autres enfants.
  2. L’emploi reste une difficulté majeure, et on ne s’en étonnera pas. Quelques raisons à cela : le court délai laissé aux programmes d’accueil des réfugiés pour résoudre les problèmes de langue, d’acquisition de capacités, de santé mentale, d’adaptation aux normes culturelles et sociales, mais aussi le manque de documentation, ou encore les difficultés et la longueur des procédures de reconnaissance des équivalences de diplômes. La longue procédure d’examen des demandes d’asile et le faible pourcentage d’acceptations (20 % en Espagne) sont en outre cause d’inquiétude et d’incertitudes autant pour les employeurs que pour les employés potentiels.
  3. La durée de la procédure d’asile pèse aussi sur les mineurs isolés et met leur vie en danger ; dans de nombreux cas, ils perdent la protection spéciale que leur confère la loi s’ils atteignent leur majorité avant que leur demande d’asile soit examinée.
  4. Malgré les conséquences négatives des procédures bureaucratiques, les programmes en Espagne et en Suède ont rapporté que la population locale avait très bien accueilli leurs réfugiés et qu’elle s’était montrée étonnamment généreuse et active. Malgré les obstacles, l’expérience de l’intégration sociale a été positive pour la plupart des bénéficiaires des programmes de Dianova en Espagne et en Suède (ce qui concorde avec l’enquête de 2016 sur l’accueil des réfugiés d’Amnesty International, qui place les Espagnols parmi les peuples les plus accueillants des 27 pays étudiés).

Dans un premier temps, les rapports positifs concernant la bonne santé des processus d’intégration dans ces pays m’ont surpris. Cette surprise n’avait rien d’étonnant, puisque le récit dominant ne veut nous faire voir que les divisions et dépeint les citoyens des pays d’accueil comme des xénophobes et racistes qui ne veulent qu’une chose : que les réfugiés retournent chez eux. Ce que nous ne percevons pas forcément, c’est que plus on tente de nous convaincre que la xénophobie est la réalité dominante, plus il devient facile de justifier les actes de haine contre les minorités et les populations vulnérables dans les réseaux sociaux, les média, le débat public et les politiques publiques, et d’en faire la nouvelle norme.

Afin de ne pas être naïfs quand nous opposons xénophobie et inclusion sociale, nous devons bien avoir conscience que les réfugiés et demandeurs d’asile accueillis par nos programmes ont eu « de la chance » (si tant est que ce mot ait un sens pour des gens qui ont été obligés de quitter leur pays). Nous parlons ici de ceux qui bénéficient d’un certain soutien social, psychologique et sanitaire, de logements, de cours de langue, qui sont habillés, éduqués et formés et qui ont quelques possibilités d’emploi : ce ne sont pas les plus marginalisés, ceux qui sont laissés à l’abandon dans des camps de réfugiés, ceux qui sont exploités par des passeurs ou pire encore. Pour les réfugiés dont l’analyse des programmes de Dianova en Espagne et en Suède nous raconte l’histoire, la différence tient à l’existence d’un système officiel de soutien (qui n’est pas idéal, mais qui fonctionne à bien des égards).

Cela nous montre qu’avec l’appui des pouvoirs publics (en partenariat, le plus souvent, avec la société civile), leurs chances d’être acceptés et intégrés dans les sociétés d’accueil augmentent de façon exponentielle. L’aide des pouvoirs publics est importante pour que les réfugiés puissent jouer un rôle dans leur nouvelle société et pour atténuer la stigmatisation. Elle peut aussi redonner confiance aux réfugiés, aussi bien en eux-mêmes que dans les institutions et les procédures : n’oublions pas qu’ils fuient pour la plupart des situations de guerre et qu’il est primordial de renouer avec eux des liens de confiance.

Il est important de noter que les points positifs rapportés ici ne sont pas un tableau abouti de la réalité des réfugiés dans leurs pays d’accueil, mais le plus souvent de simples souhaits. À tout le moins, de façon très pragmatique, ils montrent que si les pouvoirs publics sont sensibles et créent les conditions nécessaires pour que les réfugiés vivent dignement, il y a de meilleures chances que la population du pays soit elle aussi accueillante. Mais au contraire, nous voyons aujourd’hui que les gouvernements ont tendance à justifier leur inaction et leur manque de soutien par une supposée hostilité de leur population aux réfugiés. Ils créent ainsi un cercle vicieux d’antagonisme, d’exclusion, de marginalisation et d’occasions manquées pour tous, et en particulier pour les enfants. Par conséquent, nous devons tirer parti de ces expériences positives pour les négociations sur le Pacte mondial sur les réfugiés, en sachant qu’il nous faut avoir des systèmes favorables en place pour assurer la paix sociale et encourager la croissance économique. Par exemple, si l’on accorde une attention particulière à ses besoins spécifiques lors de son intégration, chaque personne qui a besoin d’aide à son arrivée pourra bientôt contribuer au développement social, culturel et économique de sa nouvelle collectivité.

Les récits de haine que nous entendons aujourd’hui veulent nous faire croire que les gens sont essentiellement ennemis les uns les autres, que l’individualisme est plus fort et que la haine triomphe. Nous savons que c’est un mensonge. Et nous devons être plus unis que jamais, plus insistants que jamais, pour que chaque famille de réfugiés, chaque adulte, chaque adolescent, chaque enfant ait accès aux services dont il ou elle a besoin pour s’épanouir dans la société qui l’accueille.