Covid, violences et addictions

Déclaration de Dianova International

A l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre

Partout dans le monde, les mesures de confinement et de quarantaine destinées à limiter la propagation du coronavirus s’accompagnent de conséquences négatives comme le risque de perdre son travail, les vulnérabilités économiques ainsi que les problèmes de santé psychologique liés à l’isolement, la solitude ou l’incertitude, pour n’en citer que quelques-unes.

Explosion des violences domestiques…

Une autre conséquence négative de ces mesures est la montée en flèche des cas de violences de genre, particulièrement au sein du foyer familial. Les données encore partielles rassemblées par les différences agences internationales (1) donnent un aperçu très clair de la situation : dans la plupart des pays touchés par la pandémie de Covid-19, les services d’assistance par téléphone, les forces de police et autres services de secours font état d’une nette augmentation des cas de violences, notamment à l’égard des enfants et des femmes.

Selon certains auteurs, les mesures imposées pour contrer l’expansion de la pandémie ont donné davantage de latitude aux auteurs de violence (2). Divers rapports font état d’une nette augmentation des cas de violence de genre dans différents pays. Par exemple, bien qu’il y ait eu une baisse du niveau global de criminalité en Australie (3), les taux de violence de genre y ont augmenté de 5%. En Chine, les cas ont triplé suite aux mesures de quarantaine imposées par les autorités (4).

Selon un rapport d’étape publié par ONU-Femmes (5) l’organisme des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, les appels de victimes de violences domestiques ont progressé d’un tiers environ à Singapour, Chypre et en Argentine. Au Royaume-Uni, ces violences ont fait un bond de 65% lors du premier weekend d’avril. En France, elles ont augmenté de 30% suite au premier confinement imposé en mars.

Et de toutes les autres formes de violences de genre

De plus, la pandémie de Covid-19 est non seulement susceptible d’exacerber les violences entre partenaires ou ex-partenaires intimes, mais aussi les autres formes de violences faites aux femmes et aux filles. Par exemple, les violences exercées contre les professionnelles de santé, les femmes migrantes ou les employées de maison sont elles aussi en augmentation.

Les violences xénophobes et les situations de harcèlement dans l’espace public ou en ligne sont davantage présentes, avec des risques accrus d’exploitation sexuelle et d’abus (6). Certaines catégories de femmes sont particulièrement ciblées par les violences liées aux technologies de l’information et de la communication (TIC), notamment les activistes pour les droits humains, les femmes politiques, les journalistes, les bloggeuses, les femmes indigènes ou appartenant aux minorités, les personnes LGBTQI+, ainsi que celles présentant une diversité fonctionnelle.

Dans le monde, 243 millions de femmes et de filles de 15 à 49 ans sont victimes chaque année de violences physiques ou sexuelles de la part d’un proche et à mesure que se prolonge le confinement, ce chiffre risque encore d’augmenter. Comme l’indiquait Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU-Femmes : « Avant même la pandémie, la violence à l’égard des femmes était l’une des violations des droits humains les plus répandues. Depuis les restrictions liées au confinement, elle se propage à travers le monde entier telle une pandémie fantôme. » (7)

L’égalité exige la participation de tous et de toutes

Les inégalités de genre sont susceptibles d’augmenter le risque de voir les hommes exercer des violences à l’égard des femmes tout en inhibant la capacité de celles-ci à rechercher de l’aide. Promouvoir l’égalité entre les sexes est donc un élément essentiel de la prévention de la violence car, à travers différents types d’intervention impliquant des hommes,  il permet de remettre en question les normes de genre, les stéréotypes et les attitudes qui favorisent la violence.

Aujourd’hui, les hommes et les femmes sont enfin égaux et égales devant la loi. Pourtant, cette égalité formelle ne se traduit pas en égalité réelle. Selon leur genre, les êtres humains n’ont pas les mêmes perspectives et opportunités, et ce aux plans politique, économique, culturel, civique, social ou familial. Selon leur genre, les êtres humains ne sont pas non plus exposés aux mêmes niveaux de violence.

C’est pourquoi le combat pour l’égalité et contre les violences de genre ne doit pas être un combat de femmes pour les femmes, ou de personnes LGBTQI+ pour elles-mêmes, bien une lutte menée par toutes et tous.

Addictions et violences de genre

Selon un rapport d’étape des Nations Unies (8), la crise du Covid-19 menace de mettre un frein aux gains déjà limités effectués en matière d’égalité entre les sexes tout en exacerbant la féminisation de la pauvreté et les violences à l’égard des femmes. Et parmi celles-ci, les femmes qui utilisent des drogues sont les premières concernées, la prévalence de la violence entre partenaires intimes y étant supérieure à celle de la population générale.

La recherche a souligné l’existence d’un lien entre usage de substances et violences subies, notamment par les femmes (9). Ce lien s’articule autour de trois constats :

  • Prévalence des violences subies par les femmes qui utilisent des drogues supérieure à celle des femmes dans la population générale,
  • Prévalence des violences subies par les femmes qui utilisent des drogues supérieure à celle observé chez les hommes usagers de drogues,
  • Recours aux substances psychoactives plus important chez les personnes ayant subi des violences que chez celles n’en ayant pas subi.

Les violences au sein du couple s’inscrivent la plupart du temps dans un rapport de domination dans lequel l’agresseur exerce un processus d’emprise qui étouffe peu à peu les femmes et les éloigne de tout environnement potentiellement aidant. Cette domination psychologique anesthésie les mécanismes d’action permettant de rompre avec cette situation. Ces violences ont un impact négatif majeur sur le bien-être physique et psychologique des femmes ainsi que des enfants, avec des conséquences graves pour leur santé physique et mentale.

Conséquences pour les personnes qui consomment des drogues

Comme le souligne le rapport annuel mondial sur les drogues de l’UNODC (10), les transformations découlant de la pandémie de Covid-19 sont sans précédent, et, s’il est trop tôt pour en déterminer toutes les conséquences, on peut néanmoins tirer des enseignements des crises qui ont précédé. Après la crise de 2008, beaucoup, parmi les personnes faisant usage de drogues, se sont tournés vers des substances synthétiques moins chères et les modes d’usage ont évolué vers l’injection. Dans le même temps, les gouvernements ont réduit les budgets consacrés aux addictions.

En arriver là serait dramatique car, en ces temps de pandémie, les personnes qui utilisent des drogues sont (pour beaucoup) particulièrement à risques en raison d’une santé plus fragile (maladies chroniques et d’autres conditions susceptibles de fragiliser le système immunitaire), de leur situation sociale et économique (souvent associée au sans-abrisme) et d’autres facteurs, tels que l’isolement social, la stigmatisation et la criminalisation.

Nombre de personnes marginalisées utilisatrices de drogues ont un accès limité, voire aucun accès, aux solutions de logement, de travail et de réinsertion sociale. Il est donc urgent d’agir afin d’éviter une crise humanitaire. En effet, comme l’a indiqué l’expert des Nations Unies sur le droit à la santé, « Les populations qui consomment des drogues sont vulnérables et devraient être reconnues comme étant un groupe à hauts risques afin d’atténuer la propagation de la pandémie ».

Une crise qui affecte d’abord les femmes

Au sein de ce groupe à risques élevés, les femmes qui utilisent des drogues cumulent les vulnérabilités. On estime qu’environ un tiers des personnes qui consomment des drogues sont des femmes. Ces dernières courent d’avantage le risque d’être victimes de violences que les femmes de la population générale. Ce phénomène est susceptible d’être exacerbé dans le contexte d’isolement et de stress accrus lié à la pandémie de Covid-19.

Enfin, il faut souligner que les femmes aux prises avec un trouble de l’abus de substances (et a plus encore lorsqu’elles sont également victimes de violences) font face à de nombreux obstacles pour accéder à des programmes de traitement ou de réduction des risques et à y adhérer. Ces obstacles sont liés à la stigmatisation dont elles sont victimes et à l’absence de vision sexospécifique dans la conception et la mise en œuvre de ces programmes. C’est pourquoi, il est urgent de repenser les programmes de traitement des addictions et de mettre en œuvre des services qui répondent de manière efficace et exhaustive aux besoins des femmes concernées par le biais d’une perspective de genre et d’une perspective des droits de l’enfant.

Nécessité d’intégrer la dimension de genre dans les services de traitement des dépendances

L’un des aspects clés de la perspective de genre dans les services d’addictologie est qu’ils abordent de manière spécifique le problème des violences de genre en tant qu’élément initiateur ou aggravateur des troubles de l’abus de substances. Violences et usage de drogues forment une relation complexe qui doit être abordée de manière globale et non parcellaire. Au sein des milieux masculinisés, où les aspects sexospécifiques ne sont pas pris en compte, les femmes qui ont subi des violences de genre et qui souffrent de troubles liés à la consommation de substances ont de la difficulté à s’attaquer efficacement à ce problème. Faute de quoi, elles ne peuvent pas améliorer leur santé et leur bien-être, ce qui est contraire au principe de justice sociale.

Appel à l’action

Dans ce contexte, Dianova en appelle aux autorités des différents pays afin qu’ils répondent aux vulnérabilités et aux besoins spécifiques des femmes qui consomment des drogues et qu’ils tiennent compte des violences de genre. Selon Dianova, les mesures d’aide et de soutien qui leur sont destinées doivent être fondées sur les points suivants :

  • Reconnaître que les services dédiés aux problèmes d’addiction (programmes de prévention, de traitement et de réduction des méfaits scientifiquement validés) sont des services sociosanitaires essentiels afin d’assurer le soutien approprié des autorités
  • Intégrer la dimension de genre dans les structures existantes de de réinsertion sociale, de réduction des risques, de traitement et de prévention des addictions : les structures et programmes existants ne sont pas neutres en termes de genre, c’est-à-dire qu’ils sont conçus dans une perspective androcentrique. Intégrer cette perspective permet d’aborder directement le problème des violences sexistes en offrant un large éventail de services, incluant un traitement intégral des addictions qui aborde non seulement la consommation, mais aussi d’autres aspects importants, en lien avec d’autres services : logement, assistance juridique et formation professionnelle. La coordination avec les services destinés aux femmes victimes de violences est un facteur clé.
  • Mettre en place au niveau institutionnel les conditions d’une prise en charge globale effective des femmes usagères de substances victimes de violences : adaptation des ressources existantes ou création de ressources spécifiques, formation des intervenants et des acteurs institutionnels (police, secours, etc.), services essentiels d’assistance (logement, etc.)

 

Références

  1. Violence against Women and Girls, Data Collection during COVID-19. Retrieved from: https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2020/vawg-data-collection-during-covid-19-compressed.pdf?la=en&vs=2339
  2. Bradbury-Jones C, and Isham L. The pandemic paradox: The consequences of COVID-19 on domestic violence. J Clin Nurs. (2020) 29:2047–49. doi: 10.1111/jocn.15296
  3. Kagi J. Crime Rate in WA Plunges Amid Coronavirus Social Distancing Lockdown Measures. ABC News Australia. (2020). Available online at: https://www.abc.net.au/news/2020-04-08/coronavirus-shutdown-sees-crime-ratedrop-in-wa/12132410
  4. Allen-Ebrahimian B. China’s Domestic Violence Epidemic, Axios. (2020). Retrieved from: https://www.axios.com/china-domestic-violencecoronavirusquarantine-7b00c3ba-35bc-4d16-afdd-b76ecfb28882.html
  5. COVID-19 and Ending Violence against Women and Girls. Retrieved from: https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2020/issue-brief-covid-19-and-ending-violence-against-women-and-girls-en.pdf?la=en&vs=5006
  6. UN Women raises awareness of the shadow pandemic of violence against women during COVID-19. Retrieved from: https://www.unwomen.org/en/news/stories/2020/5/press-release-the-shadow-pandemic-of-violence-against-women-during-covid-19
  7. https://www.unwomen.org/en/news/stories/2020/5/press-release-the-shadow-pandemic-of-violence-against-women-during-covid-19
  8. Shared Responsibility, Global Solidarity: Responding to the Socio-economic Impacts of COVID. Retrieved from: https://unsdg.un.org/sites/default/files/2020-03/SG-Report-Socio-Economic-Impact-of-Covid19.pdf
  9. Améliorer la prise en charge des violences subies par les femmes usagères de substances psychoactives – Groupe Pompidou, 2015. Retrieved from: https://www.federationaddiction.fr/app/uploads/2016/04/rapport_femmes_violences_pompidou.pdf
  10. UNODC World Drug Report 2020. Retrieved from: https://wdr.unodc.org/wdr2020/